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français. La France n’est qu’un compartiment dans l’immense guerre qui s’étend sur la plus grande partie de l’Europe. Nous avons des alliés qui travaillent chacun dans le sien à l’œuvre commune. Les Anglais, pour le moment, y travaillent avec nous, à nos côtés, et lord Kitchener a eu raison de dire, il y a quelques jours, que nous apprécions l’appui qu’ils nous donnent. Leur courage impassible est pour nous un précieux réconfort. Mais à l’autre extrémité de l’Europe, il y a les Russes qui, disposant d’un nombre d’hommes supérieur à celui de toutes les armées historiquement connues, marchent à la fois contre l’Allemagne et contre l’Autriche, et la victoire marche avec eux. Celle qu’ils ont remportée sur les Autrichiens est écrasante : elle a réalisé toutes les espérances qu’on avait conçues. C’est en Pologne, en Galicie, que le grand choc a eu lieu. Le gouvernement autrichien, voulant sans doute imiter l’empereur de Russie, a adressé une proclamation aux Polonais russes pour leur annoncer qu’il venait les délivrer, les affranchir enfin de l’odieux joug moscovite. Il faudrait plaindre les Polonais russes s’ils attendaient vraiment cette délivrance : elle ne viendra pas, mais ils s’en consoleront. La bataille et la prise de Lemberg, capitale de la Pologne autrichienne, sont des actes de guerre d’une importance qu’on ne saurait exagérer. Et les Russes continuent leurs succès. Ils sont arrivés aux Karpathes, qui séparent la Galicie de la Hongrie. Que feront-ils maintenant ? Franchiront-ils les montagnes, ou, au contraire, suivront-ils leur versant septentrional pour pénétrer en Silésie et se joindre à l’armée qui opère plus au Nord ? Ils connaissent leurs forces et n’ont de conseil à prendre que d’eux-mêmes. Mais, évidemment, le principal objectif qu’ils ont à se proposer est Berlin ; non pas que leurs intérêts ne soient pas aussi sérieux du côté de l’Autriche que du côté de l’Allemagne, mais parce que, l’Autriche étant d’ailleurs fortement entamée en ce moment, si un grand coup est frappé sur l’Allemagne, et s’il réussit, tout le reste pliera et tombera aussitôt.

C’est à Berlin qu’est le point politique, militaire et psychologique à atteindre. Les Russes le savent bien et ils avancent dans cette direction. Une contre-attaque allemande a un moment ralenti leur marche dans la région d’Osterode : l’incident n’a pas grande importance, mais il montre que les Russes ne sauraient avoir trop de monde au point où leurs armées doivent finalement se réunir. Au Nord, ils sont sur la Vistule. On assure que le gouvernement allemand, sous le coup de la menace qui approche et qui grandit, a déjà rappelé une partie des troupes qu’il avait en Belgique. Nous ne saurions