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Allemagne. — Nous abrégeons ce discours qui aurait mérité d’être reproduit tout entier : on n’en a jamais entendu, on n’en entendra pas de longtemps un semblable à Berlin. Il y a, entre le langage de M. Asquith et celui de MM. de Bethmann-Hollweg et de Jagow, plusieurs siècles de civilisation. Ce sont des hommes d’une autre éducation intellectuelle, d’une autre culture morale, d’une autre race qui parlent. Et nous nous sentons de la même famille humaine que les Anglais.

Les publications britanniques, les discours de M. Asquith, de sir Edward Grey, de lord Kitchener, ont atteint leur but : aujourd’hui, l’opinion anglaise est unanime comme la nôtre. Cependant il y a quelque chose de plus éloquent encore que tous les discours, ce sont certains faits. Les journaux ont parlé des actes de barbarie qui ont été commis par les soldats allemands. Eh quoi ! au XXe siècle, on tue des femmes, des enfans ! On les met de force devant les soldats pour empêcher l’ennemi de tirer ! On viole, on assassine ! Ces anachronismes révoltans troublaient les consciences, mais l’esprit, quelquefois, restait hésitant : n’y avait-il pas quelque exagération dans ces récits d’épouvante ? Nous étions, nous, trop près des événemens pour pouvoir douter ; chaque jour des témoins authentiques venaient tout confirmer ; mais ceux qui étaient loin, très loin, de l’autre côté de l’Océan, hésitaient à croire à tant d’abominations. La mort violente de Louvain les a subitement éclairés d’une lumière irrécusable et effroyable. Louvain, ville charmante, tout imprégnée d’histoire, embellie par l’art, centre d’étude, de recueillement, de méditation, un des joyaux de la Belgique, un des trésors de l’humanité, Louvain a été saccagé. Ses principaux monumens sont détruits, ses bibliothèques ont été détruites, comme autrefois celle d’Alexandrie. Lorsqu’on l’a appris, un cri de douleur et d’horreur s’est élevé dans le monde entier. Un acte pareil suffit pour déshonorer une guerre, et l’Allemagne en gardera au front une marque ineffaçable. Elle s’en soucierait sans doute très médiocrement si, tout de même, la réprobation universelle n’était pas lourde à porter, si lourde que, un jour ou l’autre, on finit par fléchir sous le poids. L’Allemagne a éprouvé le besoin de s’expliquer. Un journal suisse a publié une note dont toutes les apparences sont celles d’un communiqué et, bientôt après, M. de Bethmann-Hollweg en personne a adressé à la presse américaine un long factura qu’on peut résumer en deux mots : Louvain a mérité son sort ; comme des soldats allemands étaient réunis sur une de ses places, des coups de feu sont partis de plusieurs