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Angleterre, un parti qui pousse l’esprit pacifique jusqu’au pacifisme doctrinaire, et ce parti dispose, même dans le gouvernement, de moyens puissans au profit de sa volonté d’abstention. Le gouvernement allemand a des intelligences à Londres. L’empereur Guillaume a eu d’autant plus de facilité à faire croire à ses intentions pacifiques que ces intentions paraissent bien avoir été longtemps sincères ; mais, quand elles ont cessé de l’être, tous les yeux ne se sont pas ouverts à la fois. Aujourd’hui encore, il y en a qui restent fermés. C’est contre ce parti que le gouvernement a eu à lutter et il faut savoir une grande reconnaissance à sir Edward Grey, à M. Asquith et à ceux de leurs collègues qui les ont aidés dans cette tâche, d’avoir déployé l’énergie et l’habileté nécessaires pour l’emporter. On peut mesurer le chemin qu’ils ont parcouru en quelques jours en comparant leurs premiers discours parlementaires à ceux qu’ils ont prononcés depuis et, en fin de compte, à la Déclaration dont nous avons plus haut reproduit le texte catégorique.

Il est vrai que le gouvernement allemand les a merveilleusement aidés. Nous avons déjà relevé quelques-unes de ses maladresses, mais les événemens marchent si vite entre nos chroniques, que nous n’avons encore rien dit des extraordinaires conversations que M. de Bethmann-Hollweg, chancelier de l’empire, et M. de Jagow, ministre des Affaires étrangères, ont eues avec l’ambassadeur d’Angleterre, M. Goschen. Tout le monde les a lues dans les journaux, mais il faut les rappeler ici, car leur omission priverait nos lecteurs d’un élément indispensable à leur information. Il s’agissait de la neutralité de la Belgique, et M. Goschen demandait à ses interlocuteurs si l’Allemagne la respecterait. — Nullement, ont-ils répondu ; nous avons besoin de passer par la Belgique pour porter tout de suite à la France un coup décisif, et, par conséquent, nous y passerons. D’ailleurs, le fait est déjà accompli et, quand même nous voudrions revenir en arrière, il serait trop tard. — Le gouvernement allemand avait sans doute cru habile de mettre l’Angleterre en face d’un fait accompli, et il se montra très surpris de la gravité que M. Goschen paraissait y attacher. — Comment ! s’écria alors M. de Bethmann-Hollweg, pour un mot, le mot neutralité, qui, en temps de guerre, a été si souvent méprisé ; comment ! pour un petit morceau de papier, la Grande-Bretagne va faire la guerre à une nation apparentée dont le seul désir est d’être une amie ! L’acte de la Grande-Bretagne est inconcevable. Je la tiens pour responsable des terribles événemens qui pourront s’ensuivre. — Un Livre Blanc anglais a livré cette conversation