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contredit lui-même, par l’exposé des faits de sa jeunesse, ses assertions touchant la prétendue « indépendance naturelle » qui l’aurait naguère poussé à échanger l’uniforme des élèves de l’école des sous, officiers de Marienberg contre le veston de velours de l’ouvrier et orateur socialiste. En réalité, lui aussi, comme tous ceux de ses compatriotes qui nous ont raconté leur conversion au socialisme, — sans en excepter même ce Bebel dont je rappelai ici l’aventure, il y a tout juste une année, — lui aussi s’est borné à s’affranchir d’une discipline pour se soumettre non moins docilement à une autre ; et c’est ce qu’avait déjà deviné le directeur de l’école d’enfans de troupe de Dresde, lorsqu’au retour de certain congé, il avait interdit au petit Krille de fréquenter dorénavant la maison d’un de ses oncles, socialiste notoire, tenancier d’un estaminet où se réunissait un groupe de ses coreligionnaires politiques. Oui, d’un bout à l’autre de son livre, M. Krille nous révèle une âme naturellement « asservie, » et sans que même nous puissions soupçonner son éducation militaire d’avoir eu d’autre effet que d’entretenir et de stimuler simplement, dans son cœur, un inconscient besoin inné de « subordination. »

Mais peut-être y a-t-il, au contraire, un sentiment qu’a véritablement semé dans l’âme malléable de M. Krille cette éducation qu’il déplore, tout en se reconnaissant hors d’état d’en effacer la vigoureuse empreinte ? À plusieurs reprises, durant le cours de son récit, il rappelle avec une nuance de raillerie dédaigneuse l’acharnement avec lequel tous ses professeurs, à Marienberg comme d’abord à Dresde, instruisaient leurs élèves à détester la France. L’animosité antifrançaise de ces maîtres est même un de ses principaux griefs « intellectuels » contre eux : par où se manifeste, une fois de plus, l’authentique socialiste, — ou plutôt « démocrate-social, » — accoutumé à suivre les traditions « francophiles » de Karl Marx et du vieux Liebknecht. Oui ; mais nous savons aujourd’hui que le vent de la guerre a suffi pour balayer, de tous les cœurs des « démocrates-sociaux » allemands, ces prétendues sympathies françaises que déjà M. Curt Wigand, naguère, soupçonnait bien judicieusement de n’être qu’une « phraséologie » toute superficielle.

À la différence du Liebknetcht de 1870 qui, sans renier jamais son patriotisme d’Allemand, s’était fait mettre en prison avec son élève et compagnon Bebel pour avoir refusé d’approuver la guerre contre la France, nous savons de quelle manière M. Liebknecht le fils, et avec lui tous les chefs et soldats de l’armée « démocrate-sociale, » ont brusquement rejeté leur masque d’ « internationalisme » aussitôt que leur