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les châtimens, voilà les concessions demandées à l’individu pour réaliser le commun salut. Dans ses rapports avec les soldats, une pensée, toujours la même, dirigera l’officier ; il se dira : « Voici la poignée d’hommes que demain peut-être je mènerai à la bataille. Et alors, ils feront leur devoir parce que je serai là... » Qui ne voit maintenant ce qui donne à l’œuvre de Patrice Mahon, en dehors même de la valeur d’art, son importance et son intérêt durable ? C’est un document de premier ordre sur l’esprit qui régnait depuis vingt ans dans cette armée française, destinée à affronter l’ennemi sur les champs de bataille de 1914.

A cette étude si incomplète, il y aurait tout au moins un chapitre à ajouter : il serait consacré aux Nouvelles, peu nombreuses, mais si achevées, qu’a publiées Art Roë. Si je me borne à les citer, c’est qu’elles ont paru ici même et que nos lecteurs ne les ont pas oubliées. Ils n’ont pas oublié Papa Félix, cette touchante histoire d’un grenadier de l’Empire qui, dans la campagne d’Egypte, ayant eu le malheur de tuer une femme qui allaitait un enfant, adopte le pauvre petit et l’élève par un miracle de bonté rude et ingénieuse. Ils n’ont pas oublié Le Coup de Canon, cet épisode du siège de Strasbourg : un officier servant lui-même la pièce qu’ont abandonnée ses canonniers fourbus. Ces nouvelles et d’autres, pour le relief et l’expressive concision, soutiennent la comparaison avec les chefs-d’œuvre du genre. Elles auront leur place dans les anthologies. Nous les relirons ; nous les ferons lire aux jeunes gens pour les entretenir dans le double culte de l’art et de la bravoure. Nous leur parlerons de celui qui les écrivit » afin qu’ils lui ressemblent. Nous leur montrerons dans l’écrivain l’officier. Nous dirons comment il a lutté sur la frontière française, pour donner le temps d’arriver à son régiment russe. Et fiers d’avoir compté parmi les familiers de cette maison un si noble représentant de notre race, chaque fois que nous voudrons hausser nos cœurs et purifier nos âmes, nous évoquerons pieusement sa figure pensive auréolée de gloire.


RENE DOUMIC.