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dans la galopade et le ventre à terre ; mieux l’obus qui nous enlève dans une gloire de poussière. Il y a dans la mort de guerre une violence et une soudaineté qui s’accordent bien à l’absurdité du phénomène. Et puisqu’il est entendu qu’elle ne choisit pas, cette mort, n’y a-t-il pas de la convenance à marcher de front au-devant d’elle ? Puis, comme c’est à ce moment-là notre devoir de nous laisser faucher de la sorte, le deuil est moins lourd à ceux qui nous aimaient. » Puisse ce souhait être exaucé, lui aussi, et l’éclat de cette mort rendre moins lourde à porter une douleur devant laquelle nous nous inclinons tous avec une tristesse respectueuse !... Avant toute chose, j’ai voulu saluer le soldat mort au champ d’honneur et rendre hommage à l’une des plus nobles parmi les victimes dont le sang vient d’être versé pour la France.

Je m’honore d’avoir été l’ami de Patrice Mahon. Nos relations dataient de son premier livre. J’avais désiré connaître celui dont ces pages ingénues peignaient au vif l’âme forte et tendre. Mes yeux le revoient tel qu’il était alors, grand, mince, élégant, avec un visage qui frappait d’abord par l’énergie, qui charmait ensuite par l’extrême douceur du regard. De toute sa personne se dégageait une impression de gravité et de noblesse. On se sentait en présence d’un de ces êtres d’élite qui ont un idéal et qui vont tout droit, guidés par lui. Il aimait passionnément son métier. Il l’aimait pour cette certitude d’avoir trouvé grâce à lui le chemin du devoir, de ce devoir simple et clair qui remplit tous les instans, donne une discipline à toute la vie, supprime les tâtonnemens, les hésitations, le doute, met la conscience en repos. Il aimait le métier militaire parce que c’est l’école du désintéressement et du dévouement, et parce que, dans notre époque de lucre, il a échappé presque seul aux influences mauvaises qui ont corrompu et faussé tant d’autres professions. Il l’aimait parce qu’entre tous ceux qui s’y consacrent il existe un même lien, une même foi, qui est la religion de l’honneur. Peut-être l’aimait-il surtout pour cette menace de danger qui plane toujours sur l’armée et pour cette perspective du sacrifice qui en est la fin dernière. Soldat dans l’âme, il l’était par instinct, par goût, par vocation ; il l’était aussi par choix réfléchi, sa nature méditative ne pouvant se passer de rechercher la raison des choses, et le travail de sa pensée lui ayant démontré qu’aucune carrière ne dépasse pour l’élévation et l’utilité du but, celle des armes. Il n’avait d’ailleurs ni la rudesse affectée de l’homme des camps, ni la morgue du spécialiste dédaignant quiconque ne porte pas l’uniforme. Très instruit, très lettré, il avait une curiosité largement ouverte au mouvement