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d’agir à son gré, a-t-il espéré obtenir des dédommagemens territoriaux du côté du Rhin ? En ce cas, il ne tardera pas à se convaincre qu’il s’est trompé et malheureusement il ne sera pas seul à subir les conséquences de son erreur.

L’ouvrage qui m’a inspiré l’étude et les réflexions qu’on vient de lire comprend actuellement, je l’ai dit, neuf volumes. Le huitième se clôt sur une dépêche en date du 3 mai 1866, écrite par le duc de Gramont, ambassadeur de France à Vienne, à Drouyn de Lhuys. Il y est dit « que le projet de désarmement réciproque sur lequel l’Autriche et la Prusse étaient tombées d’accord est définitivement repoussé par le Cabinet de Berlin. » Désormais donc la guerre est inévitable et quand l’Autriche sera vaincue, les ambitions de la maison de Hohenzollern pourront librement se réaliser. La leçon à tirer de cette publication, qui remonte si haut pour rechercher les origines de la guerre de 1870 et qui aurait pu remonter plus haut encore, est enfermée dans le vieux mot latin : principiis obsta. On a dit que Bismarck avait été si fort encouragé dans son audace par l’abstention de l’Europe en 1864, qu’il avait cru que tout lui serait désormais permis et qu’il pouvait effectivement tout se permettre. Il ne s’est pas trompé. Quand nous avons voulu l’arrêter, il était déjà trop tard, et il a construit sur nos ruines l’immense édifice qui, pendant quarante-quatre ans, a pesé sur le monde d’un poids si lourd. Peu de lectures sont aussi passionnantes que celle des huit volumes que nous a déjà donnés M. Joseph Reinach, et nous n’en connaissons pas de plus propre à nous instruire des procédés que la Prusse a employés au profit de sa fortune et au détriment de la nôtre.


ERNEST DAUDET.