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du roi Louis XVIII et l’intervention de l’empereur Alexandre pour l’empêcher de faire sauter le pont d’Iéna, et sa volonté, désarmée en cette circonstance, se dédommage par la rigueur des avanies qu’il prodigue aux vaincus partout où ses soldats sont en possession du territoire envahi.

Pendant les négociations pour la paix, la Prusse se distingue par ses exigences et par sa cupidité ; il faut que de nouveau l’empereur de Russie intervienne en faveur de la France qu’il ne veut pas laisser écraser, alors que la Prusse ne poursuit pas d’autre but. Il en sera de même en 1818, au congrès d’Aix-la-Chapelle. C’est malgré la Prusse que le négociateur français, le duc de Richelieu, obtiendra, avec l’appui de l’empereur Alexandre, la libération anticipée du territoire et l’entrée de la France dans la quadruple alliance.

Ces événemens mémorables ne sont pas seuls à établir que la Prusse n’a pas cessé de poursuivre le dédommagement de ses anciens désastres et qu’avant 1870 elle n’était pas encore consolée de l’humiliation infligée à son patriotisme pendant la durée du premier Empire. Waterloo ne lui a pas suffi. Nous en avons d’autres preuves : il y a les aveux du maréchal de Moltke, reconnaissant qu’à peine adolescent, il a été la proie d’un inlassable désir de tirer vengeance des malheurs de son pays ; il y a le mot significatif adressé en 1866, à un diplomate, par le roi de Prusse, au moment où allaient s’ouvrir les hostilités entre Vienne et Berlin : « Si nous avons maintenant la guerre entre nous, nous nous réconcilierons un peu plus tard en faisant une autre guerre en commun. » Il y a enfin les multiples commentaires de Bismarck où, avec une franchise qui touche au cynisme, il révèle les procédés auxquels il a recouru pour rendre inévitable une guerre avec la France. Cette guerre, c’est sa guerre ; il l’a préparée, tout en affectant vis-à-vis du gouvernement français, dont l’inaction favorisait ses desseins, une confiance qui ne fut jamais sincère et qui dissimulait les plans les plus hostiles.

Ce fait indéniable autorise une double supposition, d’abord que, dans sa pensée, l’annexion des duchés de l’Elbe à la Prusse, à l’exclusion de l’Autriche, devait mettre aux prises les deux Puissances et, si l’Autriche succombait dans la lutte, favoriser le conflit avec le gouvernement français à une échéance plus ou moins rapprochée ; ensuite, que, si celui-ci eût été assez heureux pour conjurer la guerre à l’heure où elle