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ouverte fut une tentation fatale pour les combattans épuisés et débordés ; ils s’y précipitèrent, et tout fut perdu.

Les Génois de Galata se considéraient comme formant une colonie indépendante ; ils cherchèrent à garder la neutralité, négociant avec le Sultan, l’assurant de leur bon vouloir et sollicitant sa protection. Quand les vaisseaux turcs furent transportés par voie de terre dans la Corne d’Or, au pied même des remparts de leur cité, ils auraient pu gêner beaucoup, empêcher même l’opération ; ils se gardèrent bien de le faire. Ces marchands avisés auraient bien voulu sauver la ville, car ils prévoyaient que, Constantinople prise, leur indépendance serait compromise, mais la peur des représailles turques les retenait : entre ces deux périls, en gens de mer qu’ils étaient, ils louvoyèrent. Le Sultan, de son côté, les ménageait ; l’hostilité déclarée de Galata aurait pu contrarier les opérations du siège et provoquer l’intervention d’une flotte génoise, portant des troupes du duc de Milan ; mieux valait temporiser ; par intimidation et diplomatie, Mahomet II obtint la neutralité, peut-être bienveillante, du podestat de Galata [1]. Après la victoire, le sultan exigea la démolition des remparts et la remise des armes, mais il confirma, par de nouvelles capitulations, les privilèges des Génois, leur accorda le droit de commercer dans tout l’Empire, et de conserver les coutumes et privilèges qu’ils tenaient des Basileis, à l’exception du droit de sonner les cloches. Les Génois, dans cette terrible aventure, furent avant tout commerçans.

Aucun grand Etat chrétien ne secourut la ville assiégée. Jean Hunyad, qui avait signé en 1451 un armistice avec le Sultan, lui fit savoir, quelques jours après le commencement du siège, qu’il avait résigné ses pouvoirs de régent du royaume de Hongrie entre les mains du jeune roi Vladistlav, et que, désirant donner au nouveau prince sa pleine liberté d’action, leurs engagemens réciproques se trouvaient annulés. C’était une menace, pour prix de laquelle il demanda au Basileus la cession de la ville de Mesembrya ; mais la menace ne fut pas suivie d’effet. Le 20 mai cependant, une ambassade venue pour annoncer au Sultan l’avènement du nouveau Roi insista auprès de lui pour qu’il levât le siège, ajoutant que, s’il ne le faisait pas, les Hongrois

  1. V. Schlumberger, p. 173 : mais il faut se méfier, quand il s’agit des Génois, des informations de source vénitienne.