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Latins ? Les reliques des Saints, les icônes très vénérées, gardiennes, depuis si longtemps, de la cité, suffiraient à la protéger. Jusque sous le feu des canons turcs, une partie des Grecs préférait le Sultan au Pape. Le grand-duc Notaras, le premier personnage de la cour après l’empereur, ne se gênait pas pour déclarer qu’il aimait mieux voir dans Constantinople le turban du Sultan plutôt que la mitre romaine. La grande majorité des Grecs avait cessé, depuis la cérémonie de décembre, de fréquenter Sainte-Sophie, qu’ils regardaient comme souillée par l’idolâtrie romaine, et ceux-là même qui, par politique, acceptaient l’Union, ne le faisaient qu’à contre-cœur, dans l’espoir d’obtenir l’alliance des princes catholiques. Même aux momens les plus tragiques du grand siège, une sourde mésintelligence ne cessa de se manifester entre Grecs et Latins.

Les malheureux Byzantins avaient cependant grand besoin de l’aide des Latins. Dans l’immense cité, bien dépeuplée il est vrai, le Basileus n’avait pu réunir que 4 973 combattans grecs. C’est le chiffre singulièrement précis donné par l’historien Prantzès, l’ami et le meilleur serviteur du Basileus, qui fut lui-même chargé de ce douloureux recensement. Durant le siège, les premiers rôles furent tenus par des capitaines génois et vénitiens et les postes les plus difficiles confiés aux 3 000 braves soldats italiens qu’ils commandaient. Le Génois Jean Giustiniani, condottiere de grand renom, arrivé à la veille du siège avec deux vaisseaux, trois cents marins et quatre cents soldats munis de côtes de mailles, accepta de combattre « pour l’honneur de Dieu et celui de toute la Chrétienté » et de défendre la partie la plus exposée du rempart, près de la porte Saint-Romain. Le Basileus lui donna le commandement supérieur de toutes les troupes. Il fut le héros du siège et sa chute, pendant l’assaut final, fut le signal de la chute de la place. La cardinal Isidore lui-même commandait une portion du rempart. Les Italiens étaient en tout 3 000. Malheureusement, la concorde ne régnait pas entre eux : Vénitiens et Génois, rivaux pour le commerce, se détestaient. Tous firent vaillamment leur devoir, mais enfin, cas étrangers combattaient pour leurs intérêts, non pas pro arts et focis. Le brave Giustiniani lui-même, lorsqu’il tomba grièvement blessé, songea à son salut et, malgré les supplications de Constantin, il se fit ouvrir une poterne qui donnait accès dans la ville et se fit porter à bord de son vaisseau ; cette issue