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on versait dans l’âme des flots d’huile ; elle lançait des boulets de marbre noir, très dur, qui pesaient 1 200 livres. Cette pièce formidable finit par éclater en tuant son constructeur, mais elle fut remplacée, et d’ailleurs elle n’était pas seule ; le Sultan avait au moins trois très gros canons appuyés par toute une artillerie moyenne et petite. Mahomet II semble avoir été lui-même un artilleur habile, c’est lui qui choisit l’emplacement des batteries et veilla à leur installation. L’effet fut formidable ; chaque coup abattait des pans entiers détours ou de murailles ; ce sont les canons qui ont ouvert les trois larges brèches par où les assaillans s’emparèrent de la ville. L’effet moral fut peut-être plus désastreux encore ; ces formidables détonations, cet écroulement irréparable du rempart consternèrent les imaginations : la catastrophe approchait ; Dieu et la Panagia abandonnaient la cité. Pourtant les braves qui combattaient autour de Constantin et des capitaines génois et vénitiens ne perdirent pas courage : avec des troncs d’arbres, des balles de laine, des tonneaux remplis de terre, ils édifièrent des remparts de fortune derrière lesquels ils luttèrent pied à pied. La supériorité de l’artillerie turque, voilà, militairement parlant, la cause de la chute de Constantinople.

Il en est une seconde, bien connue, qu’il suffira de rappeler : c’est le transport, par-dessus la colline de Péra, d’une partie de la flotte turque jusqu’au fond de la Corne d’Or. Les Génois et les Vénitiens, qui combattaient avec les Grecs, étaient maîtres de la mer. Non seulement leur flotte était à l’abri dans la Corne d’Or, protégée par la chaîne qui fermait le port entre la Pointe du Sérail et Galata, mais leurs gros navires à voiles possédaient une supériorité absolue sur les petits bateaux et les galères du Sultan. Le 20 avril, quatre bâtimens génois qui arrivaient d’Italie au secours de la ville assiégée, tinrent tête, plusieurs heures durant, à l’effort acharné des centaines de bateaux de l’amiral Baltoglou et finalement pénétrèrent dans la Corne d’Or, non sans infliger aux Turcs des pertes sensibles. Le Sultan, exaspéré de cet échec, chercha l’occasion d’une revanche. Tous les efforts pour briser la lourde chaîne qui fermait le port ayant échoué, il résolut de tourner la difficulté en transportant des bateaux par-dessus la colline abrupte de Péra pour les faire descendre dans la Corne d’Or. L’opération, qui a étonné les contemporains et consterné les Byzantins, n’était pas sans précédens :