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plus dramatiques du livre de M. Gustave Schlumberger. Avant lui, il n’existait pas, en français, d’ouvrage spécial relatant, avec tous les détails et toutes les précisions que la critique historique permet d’accueillir comme authentiques, l’histoire de ce long siège. En anglais avait paru, en 1903, le livre de Sir Edwin Pears. M. Schlumberger rend à son devancier l’hommage qui lui revient et suit souvent son récit. Comme lui, il nous donne scrupuleusement, jour par jour, d’après les témoignages des assistans et des acteurs, le récit de cette grande tragédie ; les faits, discutés avec sobriété et précision, sans luxe d’érudition inutile, se pressent vers le dénouement fatal ; le livre est plein de vie, d’animation, de passion même : l’auteur est l’un des assiégés, il partage leurs angoisses, leurs espérances, leur désespoir. Mais, s’il ne cache pas ses sympathies particulières pour les vaincus, il ne dissimule ni les faiblesses ni les erreurs qui ont amené la chute de Byzance, et il rend hommage à la géniale obstination et au courage du vainqueur. Nous ne pouvons pas le suivre dans le récit des épisodes de la grande lutte ; cherchons du moins avec lui à dégager quelques faits dominans.


Les remparts de Constantinople méritent une place à part Dans l’histoire de la civilisation humaine. Les vagues successives de la Barbarie du Nord et du Midi sont venues s’y briser ; les Avares en 625, les Arabes en 654, 661 et 716, les Bulgares en 1014, et combien d’autres encore, se sont vainement acharnés sur ces murs ; leur élan s’y est arrêté. De là partaient les Empereurs pour reprendre, après chaque assaut, leur œuvre patiente d’assimilation et de civilisation-par les armes, par le christianisme et l’hellénisme ; la Porte Dorée voyait le retour de leurs cortèges triomphaux qui s’en allaient vers Sainte-Sophie pour de solennelles actions de grâces en l’honneur du Basileus vainqueur de la Barbarie. Ces remparts, élevés par Théodose II pour remplacer l’enceinte de Constantin, devenue trop étroite, étaient un chef-d’œuvre de l’architecture militaire du moyen âge ; ils constituaient pour une armée dépourvue d’armes à feu, une barrière formidable. L’assaillant se trouvait d’abord en présence d’un fossé continu profond de vingt mètres et rempli d’eau, précédé lui-même d’un mur extérieur de trois mètres de hauteur ; au delà du fossé, s’étageaient trois remparts successifs ; le premier, le moins élevé, surplombait directement le fossé ; le