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craintes. Il semblait, sans que la droiture et la hauteur de vues du Souverain Pontife eussent prévu ce résultat, introduire dans l’Église l’esprit de suspicion et de délation que des gens exploiteraient pour satisfaire leurs rancunes, ou même comme moyen de parvenir. Enfin on condamnait ou l’on arrêtait bien des choses qui ne paraissaient pas toujours aux profanes relever directement de la théologie.

Dans les derniers temps, un mouvement de réaction, d’abord timide, qui avait pris peu à peu de la force et de la consistance, s’était produit. Il s’était manifesté, dans des revues dirigées par des Pères de la Compagnie de Jésus, par des documens émanés de membres de l’épiscopat de divers pays. Une protestation s’élevait contre la tendance des catholiques qui s’intitulaient « intégralistes, » dénonçant à leur tour ceux qui dénonçaient et attaquaient tout le monde. Et, aux yeux des « intégralistes, » les jésuites étaient suspects. Les cardinaux promus au récent consistoire apparaissaient la plupart ennemis de l’intransigeance ; quelques-uns s’étaient signalés dans la campagne contre l’« intégralisme. » Sur ces entrefaites, le Pape adressait à ces cardinaux, qui recevaient de sa main la barrette, l’allocution du 21 mai, aussi inattendue que celle d’il y a sept ans. Au bout de ce temps, elle lui répond, elle la complète, et, semblant aujourd’hui achever une période d’histoire, elle peut apparaître, ainsi qu’on l’écrivait au moment où Pie X venait de la prononcer, comme un testament.

Des hauteurs mystiques où il est parvenu, le Pape ne voit plus que la lutte que mènent le mal et l’erreur contre l’Église, et celle qu’il a lui-même, sans trêve ni merci, menée, au nom de l’Église, contre l’erreur et le mal. C’est un rappel de tout ce qu’il a fait, de toutes les tendances qu’il a combattues. Et c’est aussi des allusions à ceux qui discutent ou interprètent les intentions du Pape. Ces inquiétudes qu’autour de sa chaire, il sent monter, il les repousse sur un ton qui n’est plus celui de l’irritation et de la colère, mais d’une inflexible et mélancolique fermeté. C’est surtout cette allure de tristesse grave qui donne au document son caractère de grandeur et de beauté. On oublie cette intransigeance qu’il semble approuver, ces dénonciateurs auxquels il paraît donner raison. On ne voit que l’Église universelle avec son chef qui se lève pour dire sa foi. Et si on songe qu’il est sur le point d’aller se présenter devant le Dieu qui lui