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REVUE DES DEUX MONDES.


À Besancon.

Nous voici à Besançon. La ville m’a paru d’abord beaucoup moins modifiée que Paris par l’état de guerre. C’est qu’on y voit toujours beaucoup de soldats et presque pas de voitures. Dans les vieilles rues si pittoresques et gaies avec leurs boutiques ; appétissantes, le long des quais du Doubs où les antiques maisons de l’époque espagnole ont tant de noblesse avec leurs arcades ininterrompues, c’est toute la journée la même animation qui donne tant de charme à cette ville. Les boutiques regorgent de toutes les marchandises possibles ; on n’y a à aucun moment, comme à Paris, manqué de lait, de beurre ou d’autres choses essentielles. D’ailleurs, les alimens de première nécessité ont été, dès le jour de la mobilisation, tarifés par l’autorité militaire. Mais en dehors même de cela, il n’est pas un objet quelconque dont le prix ait augmenté et dont les magasins ne soient pourvus. — Une des raisons qui font aussi que Besançon m’a paru moins changé que Paris est le caractère des habitans : calmes, froids et décidés, naturellement, ils n’ont rien eu à modifier à l’attitude habituelle de leur âme pour devenir ce qu’il fallait en face du danger. Au contraire, les Parisiens se sont fait soudain un caractère « franc-comtois, » ce qui fut un grand changement. Pourtant, par suite de l’état de siège, les rares cafés de l’endroit doivent fermer à huit heures. Ils ne fermaient guère plus tard d’habitude. Ils ont d’ailleurs conservé leurs terrasses où fourmillent les buveurs de bière civils et surtout militaires, le soir.

Stendhal a dit, dans Le Rouge et le Noir que « Besançon est une ville où les pâtissiers font fortune et les libraires faillite… » (je cite à peu près, de mémoire.) La première partie de cette appréciation est toujours vraie, et les pâtissiers du pays cher aux gourmets sont comme toujours bien achalandés, et on en voit presque autant que de marchands de vins dans certaines villes. Quant aux libraires, c’est une ruée chez eux d’officiers et de soldats qui viennent se munir de cartes, de dictionnaires franco-allemands (on ne doute pas d’avoir bientôt à les utiliser), etc.

Les Bizontins et leurs hôtes militaires se pressent surtout vers le soir aux abords de la vieille mairie, si curieuse avec ses