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et il faut convenir que les meilleures qualités vont rarement sans quelques défauts. Les premières finissent par être moins senties que les seconds. Si on lit l’histoire, on y verra que l’Église, conduite par un sens supérieur, a établi souvent une sorte d’alternance entre les papes qui ont certaines qualités et ceux qui en ont certaines autres. Le prédécesseur de Léon XIII, le pape Pie IX, lui aussi, était un saint, et sa sainteté était mêlée à beaucoup d’esprit, ce qui lui donnait un grand charme, et à beaucoup d’intransigeance, ce qui n’était pas sans inconvéniens. Ces inconvéniens avaient été si bien éprouvés, — et comment ne l’auraient-ils pas été, puisque Pie IX a régné trente-deux ans ? — qu’à sa mort, obéissant à cet instinct secret dont nous avons parlé, l’Église a choisi pour lui succéder un pape politique. Que fera le conclave de demain ? À quelle inspiration cèdera-t-il ? Continuera-t-il cette alternance judicieuse qui ne permet pas à un esprit exclusif, quelque respectable qu’il puisse être, de présider trop longtemps aux destinées de l’Église ? C’est ce qu’on saura bientôt, mais non pas tout de suite peut-être, car le Pape du lendemain n’est pas toujours le cardinal de la veille et, porté sur un siège si élevé, il est quelquefois amené à voir les choses à un point de vue un peu nouveau.

Pour nous. Français, qui ne pouvons ni d’ailleurs ne voulons influer sur lui en aucune manière, ce choix du Pape a une importance particulière. On a dit, et rien n’est plus vrai, que la France est une grande puissance musulmane ; mais il est encore bien plus vrai qu’elle est une grande puissance catholique, et même la plus grande de toutes. Le mot dans les deux cas a un sens tout politique ; il ne veut pas dire que notre gouvernement soit catholique ou musulman ; il lui suffit d’être intelhgent pour comprendre que l’intérêt de la France se rattache sur une infinité de points à des intérêts qui ont indissolublement un caractère politique et un caractère religieux. C’est parce que notre gouvernement ne l’a pas toujours compris que, au lieu de délier délicatement certains liens avec Rome, il les a rompus brutalement et n’en a pas depuis établi d’autres. Nous ne rechercherons pas si l’intransigeance pontificale n’a pas, un peu contribué à ce résultat dont nous gardons la principale responsabilité. À quoi bon ? Mieux vaut en ce moment faire de la politique que de l’histoire et nous demander ce qui peut nous rapprocher que nous remémorer aigrement ce qui nous a séparés. Le Pape futur pourra aider à ce rapprochement, qui sera plus facile avec lui qu’il ne l’était avec son prédécesseur, parce qu’il n’y aura contre sa personne aucune suspicion préventive ; mais il faudra aussi que notre gouvernement s’y