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par sa valeur militaire, mais par la qualité de son organisation, les espérances de ceux qui en attendaient le plus. Les Autrichiens affectent de regarder les Serbes comme des barbares : ces barbares sont de très bons soldats, conduits par de bons chefs. Ils se sont si bien comportés que les Russes, après avoir réuni des forces considérables sur la frontière autrichienne, n’ont mis aucune hâte à la franchir. Les Serbes suffisaient pour le moment à la tâche. Le service qu’ils rendent à la cause commune est du plus haut prix et, quand le moment sera venu, devra obtenir sa récompense. Les Serbes, par leur énergique défensive tournée bientôt en offensive, ont permis aux Russes de concentrer la plus grande partie de leurs forces au nord de l’Empire et d’entrer par là sur le territoire allemand. Nous ne saurions leur en être trop reconnaissans. On voit par leur exemple, comme par celui de la Belgique, qu’un pays, petit par son territoire, peut être très grand par le cœur. La Serbie est aujourd’hui un facteur important de la guerre générale.

Et un autre intervient, le Japon. Il est permis de croire que le Japon se soucie assez peu de nos conflits européens, et que la cause, qui nous est si chère, du droit et de l’indépendance des nations a pour lui un peu moins d’intérêt que pour nous. Bien qu’allié de l’Angleterre, il est douteux qu’il ait trouvé dans son traité avec elle le principal motif de sa détermination, et douteux aussi que l’Angleterre ait beaucoup insisté pour la lui faire prendre. À dire le vrai, le Japon ne peut pas nous apporter un concours bien utile, et ce n’est probablement pas le résultat qu’il poursuit : il ne poursuit que son propre intérêt. Mais c’est son droit de le faire. L’empereur Guillaume attachait un très grand prix à son établissement en Extrême-Orient. On connaît ses idées sur le péril jaune : il a tenu à prendre pied sur le continent asiatique et à s’y établir fortement. Il a cru y avoir réussi : ce qui se passe aujourd’hui montre à quel point il s’est trompé. Son œuvre était artificielle et fragile. Le Japon s’en est aperçu et a profité de la première occasion de déposséder l’empereur Guillaume de possessions que, en cas de guerre, il ne peut pas défendre efficacement. L’ultimatum qu’il a adressé à Berlin, avec sommation d’y répondre dans les cinq jours, est un chef-d’œuvre d’insolence. Il enjoint à l’Allemagne : 1° de retirer des eaux japonaises et chinoises ses bâtimens de guerre, ou de les désarmer ; 2° d’évacuer dans le délai d’un mois le territoire du protectorat de Kiao-tchéou, ce territoire que l’Allemagne avait soigneusement choisi à l’entrée du golfe du Petchili. S’il y a eu jamais au monde un homme