Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

triche que par une guerre heureuse ; la diplomatie n’y suffisait pas. L’occasion a été attendue longtemps, on a pu craindre qu’elle ne se présentât jamais : elle s’offre aujourd’hui.

Si, comme il y a tout lieu de l’espérer, la guerre se termine par la victoire de la France, de l’Angleterre et de la Russie, qui empêchera cette dernière de réaliser la promesse de son empereur ? Ce ne sera pas la France assurément, et ce ne sera plus l’Angleterre, car ses intérêts se sont déplacés et ses préoccupations de 1914 ne sont plus celles de 1814. Dans d’autres circonstances, des obstacles se seraient dressés en Russie même, où de vieux préjugés existent contre l’autonomie de la Pologne ; mais, outre que la volonté de l’Empereur y est très puissante, sinon même toute-puissante, la guerre et la victoire apportent des solutions aux questions qui semblaient insolubles. Quant à dire quel effet probable aura la proclamation impériale dans les diverses parties de la Pologne, il faudrait toute une étude historique pour le faire. Comment la Pologne russe n’éprouverait-elle pas une joie que certains souvenirs peuvent troubler, mais non pas altérer ni étouffer ? Quoi qu’il arrive, elle est sûre de gagner à l’avenir qu’on lui ouvre. La vérité nous oblige à reconnaître que la Pologne autrichienne jouit d’un traitement qui, par comparaison avec celui dont la Pologne prussienne est affligée, peut être qualifié de privilégié ; aussi est-il possible que la proclamation du tsar ne produise pas une impression aussi profonde en Galicie qu’en Posnanie ; toutefois, comment la Pologne autrichienne elle-même, de quelques ménagemens qu’elle ait été l’objet, ne serait-elle pas sensible à l’espérance de voir revivre la Pologne dans ses anciennes frontières ? Le « rêve sacré des pères et des aïeux » parlera à son imagination, c’est-à-dire à son cœur. Pour ce qui est de la Pologne prussienne, elle est assurément, depuis que les Balkans ont échappé à la Turquie, — et peut-être même l’était-elle avant, — la province de l’Europe qui souffre le plus cruellement sous le joug le plus odieux. Dans ce théâtre restreint, la lutte entre le germanisme et le slavisme a pris un caractère atroce. La politique allemande ne tend à rien moins qu’à l’élimination des Polonais de chez eux par tous les moyens, la persécution sous toutes les formes et l’expropriation où le vol n’est même pas déguisé. Comment, dans un pareil pays, la proclamation de l’empereur Nicolas ne serait-elle pas entendue avec une complaisance et une reconnaissance particulières ? Comment ces Polonais allemands malgré eux ne souhaiteraient-ils pas la défaite de l’Allemagne, qui sera la préface de leur libération ? C’est pourquoi la proclamation impériale a été, s’il est