Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remporté. L’empereur Guillaume a dit qu’il irait jusqu’à son dernier homme et à son dernier cheval ; lord Kitchener a dit jusqu’où irait l’Angleterre. La France sera digne de pareils alliés. Nous n’entrerons pas dans le détail des opérations militaires de ces derniers jours ; nos lecteurs les connaissent aussi bien que nous ; rien de ce qui se passe sur nos frontières ne leur échappe. Mais, au delà de ces frontières, il y a le vaste monde, et nous devons signaler les événemens qui s’y sont produits en corrélation avec ceux qui nous intéressent et nous émeuvent si fort. Regardons d’abord du côté de la Russie. Elle ne voulait pas la guerre, elle s’y était bien préparée néanmoins, et dès que l’Allemagne la lui a déclarée, elle s’est trouvée prête. Mais si elle l’était matériellement, l’empereur Nicolas a voulu, à son immense force militaire, ajouter une force morale ; non moins grande. Au travail de sa diplomatie et à ses heureux résultats, son initiative personnelle a apporté au dernier moment un nouvel élément de succès : il a annoncé solennellement la prochaine reconstitution de la Pologne dans ses frontières anciennes, et nous dirions volontiers que rien n’était plus habile, s’il n’était pas encore plus exact de dire que rien n’était plus généreux. Le grand-duc Nicolas, général en chef de l’armée russe, a adressé aux Polonais un éloquent appel d’où nous détacherons quelques phrases pour montrer quel en est l’accent. « Polonais, dit-il, l’heure a sonné où le rêve sacré de vos pères et de vos aïeux peut être réalisé. Il y a un siècle et demi que le corps vivant de la Pologne fut déchiré en morceaux, mais son âme ne mourut pas ! Elle vivait de l’espérance que, pour le peuple polonais, viendrait l’heure de la résurrection et sa réconciliation fraternelle avec la grande Russie. Les troupes russes vous portent la nouvelle de cette réconciliation. Que le peuple polonais s’unifie sous le sceptre du tsar russe. Sous ce sceptre renaîtra la Pologne libre dans sa religion, dans sa langue et dans son autonomie. Le cœur ouvert, la main fraternellement tendue, la grande Russie vient à votre rencontre. » Le langage est nouveau, les intentions dont il est le témoignage ne le sont pas, et l’empereur Nicolas n’est pas le premier qui les ait eues. Ce qu’il se propose aujourd’hui, c’est ce que l’empereur Alexandre Ier avait déjà voulu faire en 1814 ; mais il trouva contre lui l’opposition des puissances qui craignaient de voir la Russie devenir trop forte avec cet énorme accroissement de territoire. En conséquence, la Pologne a continué d’être partagée en trois tronçons dont un seul était russe ; les deux autres, étant prussien et autrichien, ne pouvaient plus être arrachés à la Prusse et à l’Au-