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et contre laquelle il se croit complètement libre d’exercer tout à l’aise sa « dureté » native : de telle sorte que c’est de cette nation-là que nous aurons chance d’apprendre, aujourd’hui, à connaître le fonctionnement « normal » de cette dureté, et, du même coup, à le craindre lui-même et à le haïr, à nous armer d’un surcroît d’énergie pour en écarter la menace de notre horizon !

Ah ‘combien je voudrais, en ces journées d’attente solennelle, pouvoir traduire et mettre sous les yeux de tout Français le très savant ouvrage récemment consacré par un professeur de l’université de Léopol, M. Joseph Burek, à la peinture des tendances et des procédés de la politique « polonaise » du gouvernement prussien depuis un quart de siècle [1] ! Combien je souhaiterais qu’une traduction du livre pathétique de M. Burek parvînt sous les yeux de ces Italiens qui ne peuvent ignorer le séculaire mépris qu’entretient secrètement pour eux toute âme allemande, — un mépris à peine moins profond, sous de vains semblans d’amitié, que celui qu’elle étale au grand jour pour les divers peuples slaves ! Hier encore, en vérité, les plus « européens » d’entre nous n’accordaient qu’une attention bien distraite aux très maigres nouvelles que daignaient nous transmettre les agences télégraphiques touchant la « germanisation » de la Posnanie : tout cela nous paraissait si lointain, si manifestement assuré de n’offrir jamais pour nous qu’une signification toute « sentimentale ! » Et voici qu’à présent l’espèce de mur qui nous séparait de la Pologne s’est, une fois de plus, brusquement écroulé ! Un frémissement d’enihousiasme a secoué la France entière, l’autre jour, à la lecture de l’admirable proclamation du grand-duc Nicolas. Pas un de nous qui ne se soit senti comme allégé d’un poids sur le cœur, en même temps qu’il se rappelait avec une ombre de regret, ou peut-être de remords, sa trop longue indifférence au martyre de la noble morte enfin ressuscitée. Mais, au reste, ce n’est pas seulement de notre compassion que relèvent les faits recueillis et rapportés par l’éminent professeur polonais. La leçon qu’ils contiennent à notre adresse est d’ordre plus direct. Le régime d’extermination qu’ils nous montrent à l’œuvre en Pologne prussienne est celui-là même qui, dès demain, si nous ne l’empêchons du prix de notre sang, risquera de s’abattre sur quelques- unes de nos plus chères provinces françaises ; et n’est-ce pas dès aujourd’hui que voici dressée tragiquement devant nous la même race qui, d’un bout à l’autre du livre de M. Burek, nous révèle en un relief

  1. Voyez aussi, dans la Revue des 1er novembre et 1er décembre 1908, les articles de M. Henri Moysset sur La politique de la Prusse et les Polonais.