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Belgique, elle ne se sentait nullement liée par sa parole : la disproportion de force numérique entre l’armée belge et la sienne lui permettrait de vaincre la résistance qui lui serait opposée. Si elle lui était opposée, ne serait-ce pas d’ailleurs seulement pour la forme ? Est-ce que la Belgique pouvait avoir la prétention d’arrêter l’Allemagne? Est-ce que David pouvait, dans notre siècle de fer, frapper une fois de plus Goliath au front et le renverser ? Dans cette douce confiance, l’Allemagne a commencé, pour se faire la main, par violer la neutralité du Luxembourg ; puis, ainsi que l’a dit M. le Président de la République, elle « a outrageusement insulté la noble nation belge, » en lui demandant la liberté de traverser son territoire. La réponse a été ce qu’elle devait être, indignée et résolue. L’Allemagne a passé outre, elle est entrée en Belgique, et comptant la traverser aussi facilement qu’une toile d’araignée, elle a mis le siège devant Liège. « En voyant son indépendance menacée, a dit le roi Albert qui s’est montré aussi grand que son peuple dans ces circonstances tragiques, la nation a frémi, ses enfans ont bondi à la frontière ! » et l’armée belge, composée sur ce point de 40 000 hommes, a mis en déroute l’armée allemande qui en avait plus de 100 000. Certes, l’histoire de la Belgique est belle et glorieuse ; nous n’en connaissons guère qui soit de nature à attirer sur une nation plus d’estime, de sympathie et de respect ; mais rien dans cette histoire n’est comparable à l’héroïque défense de Liège dont le monde vient d’être le témoin ému et émerveillé. L’Europe avait garanti la neutralité de la Belgique, et la France et l’Angleterre sont en marche pour la défendre, mais, sans attendre davantage, la Belgique a frappé elle-même un coup qui, à lui seul et pour toujours, consacre cette neutralité : personne désormais n’aura plus l’imprudence de la violer. Sans doute, l’armée allemande revient à la charge, mais nous avons confiance. Les Anglais ont débarqué sur le continent et ils avancent ; nous sommes entrés en Belgique et nous avançons : qui sait si nous n’assisterons pas bientôt à un Waterloo retourné où Belges, Anglais et Français combattront ensemble contre l’arrogance et la mauvaise foi germaniques ? Quoi qu’il en soit, la prodigieuse défense de Liège, si même elle n’a retardé que de quelques jours la marche de l’armée allemande, aura brisé le plan de son état-major et nous aura permis de terminer notre mobilisation : ce sont deux conséquences du plus grand prix.

Et pendant que ces faits éternellement glorieux pour la Belgique se passaient chez elle, nous sommes entrés en Alsace. Un premier