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Telle a été la première période, et elle a été longue, de nos relations avec l’Allemagne après la guerre. Mais une autre, bien différente, a succédé. Il semble, en vérité, que, depuis quelques années, l’Allemagne, renonçant à la politique de détente bismarckienne, se soit appliquée à nous donner l’impression qu’elle était notre irréconciliable ennemie sur tous les points du globe. Nous ne pouvions rien faire, nous ne pouvions aller nulle part, sans y rencontrer son opposition maussade, hargneuse et jalouse. Il fallait toujours lui faire sa part, il fallait lui donner des compensations, et, même quand nous lui avions fait sa part et donné de larges compensations, qui ne lui étaient nullement dues, elle continuait de nous gêner, de nous entraver, de nous harceler sur le terrain qu’elle avait promis de nous abandonner. A ses yeux, notre installation y était restée précaire ; elle devait nous y remplacer un jour ; en croyant travailler pour nous, nous travaillions pour elle ; nous lui dégrossissions sa tâche à venir. Telle a été son attitude à notre égard, et il faut croire que sous des formes différentes, elle a été à peu près la même à l’égard des autres puissances, puisque l’Allemagne a si bien réussi à former contre son intolérable hégémonie la plus complète et la plus solide coalition qu’on ait encore vue. C’est le phénomène dont nous venons d’être témoins. L’Allemagne, qui s’était crue habile, a si mal choisi son moment et son prétexte pour faire la guerre que, du coup, elle a séparé d’elle un de ses alliés, et elle s’est si inconsidérément conduite à l’égard de l’Angleterre, qu’elle espérait détacher de nous, qu’elle a rivé d’une manière indestructible les liens déjà très forts qui unissaient Londres à Paris. Les Allemands, qui ont un fonds de naïveté dans leur outrecuidance, sentaient bien la haine générale monter contre eux et ils en demandaient quelquefois le motif avec une sorte de surprise. Ils ne comprenaient pas, ils ne comprennent peut-être pas encore pourquoi ils sont odieux ; mais le fait est là, incontestable. Les causes ? Il y en a de grandes, et nous en avons indiqué quelques-unes. Il y en a de plus petites, que leur multiplicité ne rend pas moins efficaces. La grossièreté, la brutalité, la cruauté de leurs procédés sont une des plus actives. Nous comprendront-ils, si nous leur disons que leur conduite est indigne envers l’impératrice douairière de Russie, à laquelle ils ont interdit le passage par leur territoire pour rejoindre Saint-Pétersbourg ; envers M. Jules Cambon qui a été accrédité longtemps auprès d’eux et qu’ils ont traité comme un colis encombrant, précieux d’ailleurs, car ils lui ont fait payer très cher son voyage ; envers le grand-duc Constantin sur lequel ils ont abattu leur lourde