Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demeurait encore, mais la crainte qu’elle inspirait avait diminué ; il fallait de nouvelles victoires pour relever un niveau qui tendait à baisser. Nous n’inventons rien : ce sont là les raisons qu’on a données au Reichstag pour légitimer la guerre. L’incident austro-serbe n’y a tenu qu’une place tout à fait secondaire : le danger dont l’Allemagne est menacée a seul été sérieusement invoqué. C’est bien une guerre préventive qu’on entend faire. On la propose froidement comme la solution d’un problème de géométrie ou d’algèbre, sans songer qu’on opère sur des hommes, que des milliers de vies précieuses vont s’éteindre, que des flots de larmes vont couler des yeux des mères, des veuves, des orphelins. L’Empereur s’est laissé entraîner. On l’appelait l’empereur de la paix, et c’était un beau titre ; mais il a dérivé peu à peu du côté de la guerre et le moment est venu où, ses résistances ayant fléchi, il s’est vu ou cru obligé de tirer cette épée bien aiguisée dont il n’avait guère parlé jusqu’alors que par métaphore. Sa faiblesse n’est pas une excuse : peut-être aurait-il pu en trouver une dans sa bonne foi si, à partir du moment où sa résolution guerrière a été prise, il n’avait pas mis une aisance dans le mensonge qui porte une atteinte fâcheuse à son caractère. Il sait mieux que personne que la France a voulu la paix : que ne dit-il qu’il a voulu la guerre ? L’aveu du moins serait sincère et l’honneur de l’Allemagne s’en trouverait mieux . On sait quels misérables prétextes elle a invoqués pour justifier son agression. Des aviateurs français ont volé sur la Belgique ! Un d’eux même est allé jusqu’à Nuremberg et il y a laissé tomber des bombes ! Nous plaignons M. de Schœn, que nous avons toujours connu galant homme, — et il n’y a aucune raison de croire qu’il a cessé de l’être parce qu’il a exécuté à la lettre les instructions de son gouvernement, — nous le plaignons d’avoir eu à articuler des griefs dont il connaissait la fausseté. On a dit qu’il s’était beaucoup promené dans la rue qui sépare l’ambassade d’Allemagne du ministère des Affaires étrangères, espérant être l’objet d’une avanie ou d’un attentat. Si le fait est vrai, il prouve que M. de Schœn, sentant sans doute la rougeur lui monter au front dans l’accomplissement de la mission qui lui était imposée, se dévouait pour fournir à son gouvernement un prétexte qui aurait pu être enfin décemment invoqué. Mais le calme de la population de Paris, son sang-froid, sa maîtrise d’elle-même ont déjoué ce calcul, comme ont été déjoués tous ceux qui avaient pour objet de rejeter sur la France la responsabilité d’une provocation dont l’Allemagne supportera tout le poids devant la conscience du genre humain.