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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




L’histoire dira un jour, en toute vérité, que la France, qui avait depuis quarante-quatre ans les meilleures, les plus puissantes, les plus légitimes raisons de faire la guerre, a refoulé dans son cœur les sentimens qui devaient l’y pousser et n’a reculé devant aucun sacrifice, si ce n’est celui de son honneur, pour assurer le maintien de la paix. Hier encore, en parfait accord avec l’Angleterre et la Russie, elle continuait à servir de son mieux cette grande cause et elle cherchait loyalement le moyen de la faire triompher. Est-ce à dire qu’elle avait renoncé, dans le secret de son cœur, aux réparations nécessaires ? Non certes ; ce serait la mal connaître que de le penser ; mais ne s’attribuant pas le droit de déchaîner la guerre générale et de mettre l’Europe entière à feu et à sang pour la réalisation de son seul intérêt, elle attendait l’intervention de cette justice immanente des choses dont on lui avait parlé autrefois et à laquelle elle croyait.

Cependant les années s’écoulaient ; la génération qui a vu la guerre de 1870-1871 perdait peu à peu ses derniers représentans ; des générations nouvelles survenaient, et on pouvait craindre qu’elles n’eussent d’autres préoccupations et d’autres pensées ; les vieux souvenirs de fer et de sang commençaient peut-être à s’atténuer et, par momens, le doute s’emparait des âmes les mieux trempées. À tort, comme l’événement l’a prouvé. L’heure si longtemps attendue et désirée a sonné subitement ; la guerre a éclaté sans que nous en soyons responsables ; elle nous a été déclarée. Alors, on s’est mis à chanter partout en France : « Le jour de gloire est arrivé ! » Nous avons été récompensés de notre longue attente, car la guerre s’est présentée à nous dans des conditions telles que, même dans nos rêves, nous n’aurions jamais pu en imaginer de plus favorables. Elle est sortie de l’infatuation de nos adversaires poussée jusqu’à la démence. Si une fée tutélaire était venue nous dire : « La guerre est certaine, inévitable, prochaine :