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fermées ; et nous voyons confier à des dilettantes solidement protégés des tâches de la plus haute portée pour la défense nationale. Après quoi c’est sur le rapport de ces ignorans que sont prises les décisions les plus graves du comité d’infanterie du ministère de la guerre. »

En terminant son étude, le capitaine Pommer se demande pourquoi tous les soldats allemands détestent et maudissent leur séjour à la caserne. « La cause n’en est nullement, — nous dit-il, — dans une aversion irrésistible pour le métier des armes, mais bien dans l’horreur qu’inspire au soldat le traitement qui lui est infligé de la part de ses chefs. » Et là-dessus j’imagine que plus d’un de mes lecteurs ne pourra s’empêcher de se demander à son tour si, malgré ses assurances contraires, l’ex-capitaine prussien n’a pas rapporté lui-même, de ses longues années de service militaire, des rancunes personnelles qui risquent trop de nuire à l’impartialité de son témoignage. Mais c’est là une crainte que dissiperait assurément la lecture de l’ouvrage entier de M. Pommer, avec l’accent de profonde — et presque naïve — bonne foi qui l’anime. Sans l’ombre d’un doute, l’auteur de cet ouvrage nous dit vrai en proclamant que « les motifs qui l’inspirent sont d’un caractère tout désintéressé. » Les griefs qu’il a rapportés de la caserne n’ont rien d’égoïste : ils sont le fait d’un homme qui, « passionnément attaché à la carrière des armes, » mais s’en étant formé une conception toute personnelle, s’est senti cruellement déçu en constatant que, de plus en plus, l’armée allemande s’éloignait de sa destination naturelle pour devenir quelque chose comme ce collège de prêtres on nous introduit le libretto de la Flûte Enchantée, une vaste corporation d’initiés s’occupant à célébrer de savans rites inutiles ; et il n’y a pas non plus une des pages de son livre où nous ne percevions l’écho d’une souffrance intime résultant d’une autre déception plus profonde encore, — d’une déception un peu pareille à celle que supposait, tout à l’heure, l’excellent capitaine dans le cœur des « ordonnances » de ses collègues du camp d’Elserborn, « au spectacle d’une horde s’abandonnant sans contrainte à l’élan de son séculaire furor teutonicus ! »

T. de Wyzewa.