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la crainte des pires conséquences si le malheur voulait que ses hommes apparussent de mauvais « marcheurs. » Car le fait est que la marche de parade, recommencée à chaque inspection, du printemps à l’automne, constitue à peu près le seul critère de la valeur d’une compagnie. Un capitaine qui réussit à faire marcher ses hommes avec une régularité irréprochable peut être assuré de la bienveillance de son major et de son colonel, — bienveillance dont il ressentira les précieux effets lorsque, plus tard, se sera produit dans sa compagnie quelque chose de beaucoup plus grave au point de vue du service.

J’ai connu un général de division qui ne se faisait pas scrupule de diriger lui-même la marche de parade d’un régiment d’infanterie, après quoi il reprochait aux officiers de ce régiment de n’avoir pas encore une compréhension suffisante de cette partie « capitale » de leur service. Quand un général attache à cette vaine cérémonie un intérêt aussi exagéré, comment s’étonner que cet intérêt grandisse en proportion géométrique, à mesure que l’on descend l’échelle des grades? Sans compter qu’il est si facile de se faire admirer en qualité de dresseur d’automates, cette profession n’exigeant pas, de la part de l’officier, la moindre dépense intellectuelle !

Je dois dire d’ailleurs que la préoccupation de formes extérieures agréables à l’œil, dans tous les exercices militaires, tend de plus en plus à prendre les proportions d’une monomanie, chez un grand nombre d’officiers supérieurs ; et cette monomanie ne laisse pas d’avoir des conséquences funestes, lorsqu’elle s’applique à la préparation du combat. Ce que le soldat apprend pendant la paix doit lui permettre, à la guerre, de se montrer égal, voire supérieur, au soldat ennemi. Or, c’est chose certaine que ce schématisme, cette vaine recherche de la forme, ont pour effet d’affaiblir notre résistance proprement guerrière. On ne saurait croire combien de temps est employé, dans les exercices de tir, à la mise au point de ce qu’un haut général a appelé le « cordon de perles, » c’est- à-dire d’une disposition où l’espace est exactement pareil, entre un soldat et l’autre. Et que l’on songe seulement à ce que deviendra, sur un vrai champ de bataille, ce « cordon de perles » dont la préparation aura été enseignée aux hommes avec un soin minutieux, durant tout le temps de leur séjour à la caserne ! Je dirai plus : que si les soldats, en présence de l’ennemi, reconnaissent l’impossibilité d’employer pour la guerre les manœuvres dont ils ont été nourris en temps de paix, il y aura danger qu’ils perdent leur confiance dans leurs chefs, et que leur instinct naturel de conservation ait encore plus vite fait de briser les chaînes de la discipline.

Je ne puis naturellement songer à suivre le capitaine Pommer dans l’exposé des inconvéniens ou dangers résultant, pour l’armée allemande à tous ses degrés, d’un tel oubli de son rôle et de sa destination légitimes. Des pratiques militaires que nous décrit l’auteur, les unes semblent avoir en vue la préparation d’une guerre idéale, dépouillée de la part inévitable de hasard et d’irrégularité que comportent tou-