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lors, n’allait plus servir qu’à l’usage particulier des officiers. Ou plutôt c’est surtout à l’usage particulier du colonel lui-même qu’a servi, de plus en plus, l’automobile ainsi achetée, jusqu’au jour où la dépense nécessitée par son entretien a définitivement abouti à une crise financière si grave que, seul, un moyen radical est apparu capable d’y porter remède. Pour le modeste prix de 400 marks, l’automobile a été cédée au plus offrant ; et le corps des officiers a pu enfin respirer plus à l’aise. J’ajouterai que, dans la suite, ce colonel qui s’entendait si parfaitement à tirer parti de son autorité au profit de ses intérêts privés est devenu membre d’un haut comité militaire, et arbore fièrement, aujourd’hui, le titre d’Excellence.

Cette aventure du chauffeur entretenu aux frais du budget m’amène à parler d’un autre des grands griefs du capitaine Pommer contre la vie militaire allemande telle qu’il l’a vécue. Non seulement, à l’en croire, officiers et soldats allemands souffrent d’un régime de servitude qui, en même temps qu’il leur rend malaisé d’aimer passionnément leur profession, les empêche de l’exercer avec autant de fruit qu’ils l’auraient pu dans d’autres circonstances : mais il se trouve, en outre, que l’un des effets les plus regrettables de ce régime est d’imposer à l’armée entière une conception spéciale, étrangement déformée et pervertie, de l’honneur. « Le lecteur étranger aux choses de l’armée comprendra malaisément qu’il puisse exister, pour l’officier, une manière spéciale de concevoir l’honneur. A ses yeux, tous les serviteurs de la nation méritent les mêmes égards, proportionnés au degré de leur moralité publique et privée ; et pareillement ils doivent tous se représenter de la même façon la notion de l’honneur, dont ils puisent les élémens au fond de leur conscience. Mais la vérité me contraint à dire qu’il n’en va pas ainsi dans notre pays : non contens d’exiger pour leur personne des égards exceptionnels, nos officiers en sont venus aujourd’hui à se considérer comme affranchis des règles communes de l’obligation morale, remplacées à leur usage par un idéal particulier d’honneur qui, trop souvent, contredit expressément les plus simples et impérieuses données de la conscience. »

De cette déformation « professionnelle » du sens de l’honneur chez l’officier allemand, le capitaine Pommer nous offre maints exemples caractéristiques. « Combien d’officiers, nous dit-il, ne découvrent rien de contraire à l’honneur dans la conduite d’un camarade qui réussit à extraire de l’argent des poches d’un autre officier en inventant des mensonges, ou même en promettant de taire une faute qu’il pouvait dénoncer ! » De même encore, M. Pommer nous assure que c’est chose admise couramment, parmi les officiers de son pays, lorsque l’un d’entre eux désire faire l’acquisition d’un cheval, de l’engager a s’adres-