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fonctions d’éducateur de soldats pourront être hautement attestés par deux mille anciens subordonnés des régions de la Westphalie, de la Hesse Nassau, de l’Alsace-Lorraine, et de la Province du Rhin. Aussi bien est-ce précisément mon enthousiasme pour le métier militaire qui, après mon admission à la retraite, a éveillé chez moi le désir de rendre accessibles au public les résultats de ma longue expérience : avec l’espoir que les pères qui destinent leurs fils à la profession d’officiers pourront y découvrir d’utiles conseils, et les représentans de notre nation au Reichstag y prendre connaissance de maintes particularités de notre vie militaire d’à présent qui appellent une profonde et urgente réforme. Puissent seulement les suggestions contenues dans les pages suivantes, puissent-elles tomber dans un terrain fertile, pour le grand profit de nos troupes de frontière et de toute notre armée allemande !

Si « fertile » que l’on suppose le terrain où sont tombées les « suggestions » du capitaine Pommer, leur date récente ne permet guère de penser qu’aucune d’elles ait pu avoir le temps d’y porter des fruits : mais d’autant plus nous est bienvenue, aujourd’hui, la partie purement « critique » de son livre, celle où, à l’aide de ses souvenirs personnels, l’ex-officier prussien nous décrit les divers aspects de la triste « servitude » militaire allemande. Car il faut avouer qu’avec toute l’évidente impartialité de l’auteur, et malgré l’« attachement passionné » dont il se pique à l’endroit de sa profession de la veille, le « souvenir » le plus profond que lui ait laissé cette profession semble bien être celui d’un pesant esclavage matériel et moral, — infiniment plus pesant que l’exigeraient, suivant lui, les nécessités légitimes de la discipline. « Certes, nous dit-il, l’obéissance est le premier devoir du soldat : mais encore ne devrait-elle pas être portée à ce point de subordination absolue qui, dans notre armée, empêche de la façon la plus désastreuse le développement de tout caractère individuel. »

Subordination qui, — toujours d’après notre capitaine prussien, — écraserait d’un même poids tous les degrés de la hiérarchie militaire allemande, depuis le simple fantassin jusqu’au colonel, pour le très grand dommage de la vraie discipline. « L’unique façon à la fois aisée et efficace de discipliner un soldat est, pour l’officier, de le convaincre de l’utilité de l’obéissance. Ce capitaine-là seul pourra se fier à ses hommes sur le champ de bataille, qui aura su, en temps de paix, se gagner leurs cœurs. Une obéissance qui repose sur la peur de la punition ne vaut plus rien au moment où la vie est en jeu. Un souci constant de l’équité, une bienveillance mêlée de sollicitude assurent infailliblement à l’officier l’affection de ses soldats ; et c’est de