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dont M. Lemaître a parlé, dans certaine préface, adorablement.

En ces dernières années, après bien des détours et même une excursion à travers la politique, M. Jules Lemaître était revenu à son premier métier de critique, voire de professeur. Il a occupé, à quatre reprises, la chaire de la « Société des Conférences » et il l’a illustrée. Ce que furent ses cours sur Jean-Jacques Rousseau, sur Racine, sur Fénelon et enfin sur Chateaubriand, un fait suffit à l’indiquer : c’est leur succès qui nous a valu la mode de ces cours libres répandus depuis à profusion. Ceux qui ne s’étaient jamais consolés que le théâtre et le journalisme leur eussent enlevé l’écrivain des Contemporains et des Impressions de théâtre, se réjouirent de le retrouver tel qu’ils l’avaient connu, mais dans un cadre et avec une manière plus larges. C’était, dans chacune de ses leçons, d’une composition si artiste, le même savoir, la même finesse, le même esprit, mais avec l’ampleur d’une pensée que bien des spectacles avaient instruite et fortifiée. Jamais sa dialectique n’avait été plus agile ; jamais sa phrase n’avait été plus souple… Et comme il disait !

M. Jules Lemaître n’a pas été seulement un des plus brillans et des plus séduisans parmi les littérateurs contemporains : il restera comme un des meilleurs écrivains qu’il y ait eu dans notre littérature. J’entends par là que ses qualités étaient éminemment celles de notre race : le bon sens aiguisé d’esprit, le don de l’observation, la pénétration morale, le goût. J’ajoute, et c’est une louange dont aujourd’hui plus que jamais nous sentons le prix, que ce fut un très bon Français. Il aimait passionnément son pays. Il est mort à l’heure où le tocsin a sonné dans son humble village natal. Et ce ne fut pas une simple coïncidence. L’émotion avait été trop forte.

René Doumic

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