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revient, questionne son amie, reçoit d’elle l’assurance que René a été incorruptible. Alors, telle est sa joie, telle est sa reconnaissance, et elle l’exprime en des mots où elle fait si bien passer toute son âme, toute la fraîcheur, toute la pureté de son âme limpide et profonde, que Germaine découvre soudain toute l’infamie de la trahison projetée et s’éloigne. C’est ce revirement qui nous a surtout charmés et qui a mis dans la pièce une note discrète d’attendrissement. Lise est sauvée. Elle est sauvée pour cette fois. Mais la prochaine fois ? Car il y aura une prochaine fois. Et ceux qui savent ce que c’est que la vie, ne peuvent s’empêcher de plaindre la douce et gracieuse jeune femme dont les yeux s’useront à pleurer tant de larmes !

Cet acte de M. Pierre Veber est conduit avec une dextérité et une aisance qui dénotent l’écrivain de théâtre en pleine possession de son métier. Le dialogue est spirituel, et, qualité aussi rare, il est naturel. L’auteur a évité le danger de le semer de mots d’auteur. Nous possédons bien peu de comédies en un acte qui soient de tout point achevées. La Comédie-Française inscrira sans doute l’Essayeuse à son répertoire. Il y a longtemps d’ailleurs que nous attendons M. Pierre Veber sur cette scène. Ce premier succès l’encouragera à y donner une œuvre plus importante, — quand le théâtre sera rendu aux représentations de théâtre.

Mlle  Maille a été une Lise aimable, gracieuse, touchante : elle a eu des passages de réelle émotion. Mlle  Robinne a été une Germaine belle, séduisante, coquette à ravir. On aurait souhaité que M. Dessonnes fût un René un peu plus fringant et moins gêné dans son rôle de séducteur.


La mort de M. Jules Lemaitre est un deuil pour tous les lettrés. Elle en est un tout particulièrement pour cette Revue à laquelle le brillant écrivain avait donné quelques-unes de ses meilleures pages. Il y avait débuté en 1894 par un article sur l’Influence récente des littératures du Nord qui fit grand bruit. Il y rédigea de 1896 à 1898 la Revue dramatique, et, pendant ces deux ans, il sembla qu’un autre Sainte-Beuve eût pris la plume.

En le saluant au nom de tous ceux qui, dans cette maison, étaient ses admirateurs et ses amis, qu’il me soit permis de dire aussi, en toute simplicité, mon profond chagrin. Il avait été pour moi un de ces glorieux aînés sur lesquels on tient les yeux fixés lorsqu’on entre soi-même dans la littérature. Je n’oublierai jamais l’éblouissement que furent ces premiers portraits littéraires qui parurent à