Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/932

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

biche, par M. Denis d’Inès, très pittoresque dans le rôle épisodique d’un loueur de voitures. M. Brunot a la désinvolture, sinon peut-être la séduction, qui convient au rôle de Gaston. Mlle Leconte a prêté toute sa grâce et son émotion au personnage un peu effacé d’Anna. Et Mme Kolb est une Mme Colvelle peinte en pleine pâte.


La même vision clairvoyante et sans illusion que j’ai signalée dans le Prince Charmant, je la retrouve dans l’Essayeuse de M. Pierre Veber. Ici encore, sous l’ingéniosité des combinaisons, sous la grâce et la légèreté du dialogue, on découvre le fond humain, c’est-à-dire douloureux. Le ménage de Lise et de René est un charmant ménage. Lise aime follement son mari, son René, et pourquoi ne s’en croirait-elle pas aimée, puisqu’il l’a épousée par amour ? Pourquoi cependant a-t-elle, non certes des craintes, mais des doutes ? On dit que tous les maris sont infidèles : son mari serait-il pareil à tous les maris ? Le cœur a ses pressentimens ; quelque chose avertit Lise que son mari n’est pas un mari de tout repos : que faire pour s’en assurer ? Elle s’avise alors d’un moyen qui, s’il réussit, lui sera une sûre garantie et lui permettra de dormir sur les deux oreilles. Allons, tant mieux ! Il consiste à mettre René à l’épreuve, à « l’essayer. » Qu’une jolie flirteuse s’offre à lui : s’il résiste, la preuve est faite ; s’il faiblit, Lise interviendra à temps, et du moins elle sera renseignée. Reste à trouver « l’essayeuse, » assez séduisante pour être une tentation, et assez sûre pour ne pas céder, elle aussi, à la tentation. Mais elle est toute trouvée : Lise a pour amie une jeune femme, Germaine, élégante, spirituelle et divorcée : tout ce qu’il faut pour plaire. Germaine sera parfaite dans ce rôle scabreux… Pauvre charmante Lise ! Elle se croit l’émule de Machiavel ; et son machiavélisme prouve sa belle candeur d’honnête femme et de femme aimante. Car elle donne, n’est-ce pas, une superbe marque de confiance à Germaine. Mais, en outre, au moment où elle semble suspecter René, elle ne peut croire à ses propres soupçons : soumettrait-elle ce mari si aimé à l’épreuve, si elle doutait un seul instant qu’il en put sortir à son honneur ?

René reste seul avec Germaine. Et il arrive tout ce que, il faut bien le dire, nous avions prévu. Les deux êtres, que Lise a eu l’imprudence de rapprocher, sont des êtres de plaisir qui se sont tout de suite reconnus. René propose à Germaine un rendez-vous pour le lendemain dans un petit pavillon écarté , et Germaine l’accepte. L’esprit est prompt et la chair est faible. Encore une fois, cela était prévu. Mais voici ce qui est original, d’une invention délicate et neuve. Lise