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tefois une situation si délicate, si périlleuse, d’un équilibre si instable, ne saurait aboutir qu’à une catastrophe. C’est le bon M. Alcidier qui va découvrir le pot-aux-roses. Il vient enfin d’apprendre que sa femme le trompe, et il l’a appris à la meilleure source, puisque c’est de sa femme elle-même qu’il tient le renseignement. Trompé et volé, c’est trop. Il crie sa double infortune, de façon à être entendu de Colvelle, d’Arthur, d’Anna, de la nourrice, et de qui voudra l’entendre… Cet acte est excellent parce qu’il est, sous une forme légère, une étude de caractère. Le portrait est dessiné d’un trait rapide et net, avec une sorte de sécheresse et de précision grêle, qui n’est pas sans agrément. Gaston est le gentil garçon qui commet les pires canailleries. C’est le bon compagnon, dont nul ne se méfie et qui mène gaiement au gouffre tous ceux qui se sont laissé entraîner à sa suite, dans sa course à la ruine.

Anna est retournée chez ses parens : elle a quitté Gaston, sur leur conseil, comme elle l’avait épousé pour leur obéir. C’est une personne qui n’a pas beaucoup d’initiative. Mais vainement ces bons parens essaient-ils de l’entourer, de la distraire et de lui faire visiter les environs d’Herblay : elle ne peut se consoler du départ de Gaston. Celui-ci, qui probablement se sait regretté, rôde dans le pays ; la nourrice l’a vu attablé au café ; mais est-ce bien lui ? « Nourrice, que faisait-il? que disait-il ? — Madame, il proposait au boucher de lui placer ses économies. » Alors, il n’y a pas de doute, et tout l’homme se peint à ce seul trait. Qu’il revienne donc ! C’est le vœu de tous : l’oncle Arthur lui-même, l’incorruptible, ira le chercher. Gaston est encore sur le seuil : il annonce déjà qu’il a en vue une affaire magnifique ! C’est incorrigible… Ce dernier acte est un peu sommaire : toutefois il donne à la pièce sa conclusion normale, qui était de n’en pas avoir. Cela ne finit pas, parce que tout va recommencer. Gaston recommencera de piller ses amis et de trahir sa femme ; il continuera de faire des dupes et des victimes qui continueront de s’offrir à lui, parce que telle est sa destinée et la leur, et qu’il a été mis sur terre tout exprès pour les gruger. Et nous sentons si bien que tout cela est vrai, et n’est pas même exagéré ! Maints souvenirs nous reviennent à l’esprit et nous obsèdent. Non, cette pièce d’un auteur gai n’est pas une pièce gaie. Elle a l’amertume de la réalité, la tristesse de la vie.

Le Prince Charmant a été très bien joué par M. Bernard qui a dessiné avec beaucoup d’ampleur le type de l’oncle Arthur, rude et faible, par M. Siblot qui a fait de M. Colvelle une bonne ganache apparentée aux barbons de la comédie classique et aux bourgeois de La-