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gens du peuple. Dans la boutique du barbier Gély, les jours de marché, il s’asseyait sur ce fauteuil fameux, dont la Comédie-Française envie depuis longtemps la possession ; pendant des heures, il écoutait les discussions et les commérages de la clientèle, qui le connaissait familièrement, et il participait de bonne humeur à ses rires. Le Médecin volant surtout, et Monsieur de Pourceaugnac, la Comtesse d’Escarbagnas, le Médecin malgré lui, le Malade imaginaire, trahissent l’influence de notre province. Dans Monsieur de Pourceaugnac, c’est notre patois que parle Lucette. Dans presque toutes ses pièces, nous rencontrons des expressions spéciales à notre terroir : carogne, la fine pratique, la masque, grand cheval de carrosse, branler le menton, aga !… À un habitant de Pézénas, du nom de Vital Bedène, bourgeois d’après les uns (nous avons trouvé des Vital Bedène qualifiés de bourgeois dans le Registre des délibérations consulaires de la seconde moitié du XVIIe siècle), cordonnier d’après les autres, Molière, ainsi que l’avait pressenti déjà Paul Lacroix, le Bibliophile Jacob, a emprunté l’idée de la scène charmante : Don Juan éconduisant monsieur Dimanche.

En 1610, en effet, ce Bedène avait publié une petite pièce ne portant ni nom de ville ni nom d’imprimeur. Elle était intitulée : Le Secret de ne jamais rien payer, tiré du Trésorier de l’Épargne par le Chevalier d’industrie. Pézénas enfin a été pour Molière une étape heureuse : il lui doit peut-être ses heures les meilleures, pleines de jeunesse et de gaieté, ses premiers jours de gloire ou du moins d’espérance. Là-bas, on se souvient de lui toujours, sans qu’on sache très bien, parmi les gens du peuple, quel personnage réellement il fut, ni ce qu’il a créé d’immortel. On songe peut-être qu’il eut tort de s’en aller, voici longtemps, pour augmenter sa fortune, mourir à Paris, si loin du bon soleil languedocien. On est fier de posséder, au seuil de la Promenade du Pré aux somptueux platanes, un monument de marbre élevé en son honneur, et dû au ciseau d’un enfant du pays, glorieux Biterrois, Antonin Injalbert…

Pézénas, pourtant, connut d’autres hommes dont la renommée n’est certes pas méprisable. Ainsi, Massillon, Barrême, l’abbé Raynal, qui enseignèrent dans son riche et grand collège des Oratoriens, où la noblesse de tout le Languedoc envoyait ses enfans : le cardinal de Fleury, ministre de Louis XV,