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Juiverie obscure conserve encore sa large porte à barreaux de fer. Des municipalités ignorantes ont commis à Pézénas d’irréparables ravages, en détruisant les superbes portes des remparts qui ne gênaient personne, le Quai[1] si gracieux au milieu de la ville, notre vieux collège des Oratoriens si gai dans ses verdures, et cette bizarre halle toujours bourdonnante qui, avec sa lourde toiture de tuiles multicolores appuyée sur de trapus piliers de granit, ressemblait à une sorte de funambulesque arche de Noé renversée.

« Pézénas est illustre, écrivait naguère Jules Claretie. Je ne le connais pas encore ; mais je compte bien quelque jour faire un pèlerinage à la Grange des Prés, » où séjourna Molière. Pézénas, mon pays, ne l’appelle-t-on pas « le jardin de l’Hérault, » et le Mercure Galant, en 1702, ne l’appelait-il pas « la plus belle campagne du monde ? » Il a tant de douceur sous l’azur de son ciel calme, avec le rayonnement de ses coteaux rouges ou bruns, drapés de vignes, parés d’olivettes, occupés par des châteaux antiques qui regardent dans la plaine l’Hérault sinueux et la Peÿne se chercher longtemps sous des ombrages, avant de marier leurs ondes ! Une ceinture de jardins et de vergers presse amoureusement la ville, et lui offre tous les légumes, tous les fruits du terroir languedocien.

Du côté de Béziers, vers le village de Tourbes, s’étale une vaste portion de campagne qu’on dénomme l’Étang. La mer venait donc autrefois jusqu’à nous, jusqu’au pic Saint-Siméon où tous les lundis de Pentecôte, les gens du peuple montent, en commémoration de quelque fête religieuse, manger la coque. Mais puis-je croire pourtant à cette gravure du Tassin qui montre, au XVIIe siècle, des bateaux à voile évoluant dans le voisinage de mes collines couvertes de bosquets ?… Au XVIIe siècle, Pézénas connut vraiment la souveraineté. La capitale du Bas-Languedoc n’était plus Montpellier, mais Pézénas. Le Mercure Galant la vantait comme « une des plus belles villes qu’on pût voir en Europe, bien bâtie, toute de pierres de taille, agréable d’esplanades fort spacieuses, de promenades aux fraîches verdures, surtout le Pré Saint-Jean, qui, à la sortie de la Porte Royale, s’allongeait à perte de vue. » Son château fut démoli par ordre de Richelieu, après la sédition de Gaston

  1. Au XVIIe siècle, on appelait quai une promenade relevée.