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Montpellier appartient aux étudians, pendant l’hiver surtout. Ils n’affectent pas les belles manières en usage à Toulouse. On retrouve en eux, simples et bons enfans, les escholiers bruyans, un peu querelleurs, du moyen âge. Dans leur cercle, on peut entendre toutes les langues de l’Europe : les étrangers, sous le doux climat du Languedoc, dans la charmante familiarité de ses mœurs, fraternisent si bien avec les habitans de la ville qu’ils la chérissent bientôt comme une patrie nouvelle, où quelques-uns demeurent. Au printemps, ces escholiers joyeux, poussés par le besoin d’aller au grand air, dans le soleil et la poussière, descendent vers le Lez, que célébra Sainte-Beuve, le Lez, Bougival en miniature, avec ses bosquets et ses guinguettes, ensuite vers Palavas, le petit Trouville de la province. Au lieu d’emprunter pour Palavas le petit train de banlieue, combien je préfère longer le sentier des prés, des champs de vignes, flottans autour des étangs de Pérols et d’Arnel sur les eaux d’autrefois, les eaux de la mer où prospérait, au XIIe siècle, l’escale populeuse de Lattes ! Ici, de même qu’à Maguelone, s’abritaient les bateaux et les gabarres des Arabes et des Juifs, et la flotte des Guillems que les Génois vinrent, jusque dans le port, détruire.

C’est un délice de partir de Palavas, le long de la mer, au frais de la brise et de l’ombre, pour se rendre à Maguelone. À gauche, les vagues battent rythmiquement la plage molle ; à droite, les étangs clapotent. Point de phare, pas la moindre cabane. Aucun bateau n’aborde plus à ce rivage, qui fut si animé par l’ambition des hommes : c’est la terre du silence et de l’agonie. Pendant plus d’une lieue, je marche seul, menu, sans que mon pas éveille un écho. Il me semble que je n’arriverai jamais à l’église du fief pontifical, qui depuis des siècles meurt. Dans la nuit plus noire, j’aperçois pourtant une lanterne qui se balance à l’avant d’une barque, et je hèle le pêcheur qui, tous les soirs, vient en ces parages tristes de l’étang disposer ses filets. Il consent à me conduire à Maguelone. Il bavarde avec confiance, d’une voix qui résonne sans effort dans la paix oppressante du paysage. Je n’ai pas à le prier deux fois pour qu’il me raconte l’histoire, ou, ce qui est peut-être la même chose, la légende de son pays. Après la mort du Christ, Madeleine la pécheresse, fuyant la persécution avec Simon le Lépreux, Marthe et Lazare d’Arimathie, s’embarqua sur un