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était descendu sur la place du hameau, de le provoquer en duel. Au milieu des paysans étonnés, les deux guerriers se battirent. Naturellement, Guillaume fut le vainqueur. On voit encore sur son pic, au-dessus du village, les ruines grimaçantes du château.

Je m’aventure par les ruelles courtes, qui parfois recouvrent le ruisseau de leurs voûtes. Mais elles s’encombrent tellement de fange et de litière, que je rétrograde vers mon sentier qui me conduit, le long de la montagne, au « bout du monde, » sous le Larzac. Là-bas, une déception m’attend. L’air est empesté par l’odeur épaisse de la fumée des lavandes, dont on extrait la sève dans une usine construite solidement avec des branches de mûriers et d’oliviers. Les paysans de Saint-Guilhem vivent de la vente de ce parfum, de la vente de leurs fromages de chèvre, et surtout de celle des fagots de bois qu’ils s’en vont amasser, de l’autre côté de l’Hérault, en franchissant l’abime au moyen d’une corde, le long de laquelle ils glissent, un par un, suspendus, à califourchon sur un morceau de bois.

Je reprends la route, dans une solitude parfaite. L’Hérault roule avec furie, dans la fissure du roc. Enfin, voici la plaine, vaste comme un ciel, et les vignobles qui s’épandent jusqu’à la mer. La plaine de l’Alsace, verte et rose, et qui déploie son riche domaine des Vosges au Rhin, m’a rappelé bien des fois cette grasse terre de l’Hérault, parsemée de villages cossus. Celle-ci, en été, vibre pendant le jour du chant ininterrompu des cigales ; pendant les nuits, qui sont fraîches et limpides, les étoiles brillent d’un tel éclat qu’elles semblent d’énormes fruits d’or que, du haut des collines, on cueillerait facilement avec la main. Le train d’Aniane pour Montpellier traverse les garrigues, collines caillouteuses et chaudes, parfumées de thym et de lavande, et où ne pousse, en fait d’arbres, que le chêne qui leur donne son nom roman[1].

Une commune de 300 habitans, Villeneuvette, l’unique peut-être en France par sa forme et quelques-unes de ses coutumes, mérite d’être signalée à l’entrée de ces garrigues, presque sur le bord de la plaine. En 1677, Colbert y établit une manufacture de draps, qui prospère toujours. Bâti sur plan régulier, ce

  1. Garrigue, Garrigo, lande couverte de chênes à kermès, qui en roman se nommaient garrig, et qui se nomment aujourd’hui garrus ou avans. (Frédéric Mistral, Calandau, note du Chant II).