Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs bras ; ils la dépouillèrent de ses vêtemens. Sans honte, elle s’évada, toute nue, en pleurant. Ils la poursuivirent avec fureur jusque dans l’escalier, en la frappant de leurs poignards. Le corps sanglant, percé de coups, elle voulut descendre vers la ville. Mais elle tomba morte, sous la hautaine muraille de son château, au coin d’une ruelle où les Gangeois montrent encore la borne, sur laquelle pour la dernière fois la jeune marquise posa doucement sa tête adorable (1667).

Alexandre Dumas a composé autour de ce drame un récit de noires aventures, trop puériles. Pardonnons-lui. Il avait déjà écrit les Trois Mousquetaires.

III

}}

Quand même je n’aurais pas voulu sortir de Ganges par la porte du Sud, la souriante fraîcheur du paysage m’eût attiré, vallons blonds et verts plantés de vignes çà et là, ombragés de platanes, de mûriers le plus souvent. Mais la montagne ne tarde pas à reparaître menaçante, triste, orgueilleuse en sa pauvreté, laissant tout juste le passage de la route, tandis que l’Hérault bat énergiquement dans la veine tourmentée du roc. C’est un défilé de hautes falaises blanches, vêtues de chênes verts, parées de quelques oliviers. Bientôt, les oliviers cessent. Les chênes se font moins nombreux que les touffes de thym qui rampent, poussiéreuses et mal peignées. Quand j’arrive à Saint-Guilhem-le-Désert, avant midi, la chaleur commence à peser lourdement. Par la mélancolie pénétrante du paysage, par la crudité de ses couleurs, par l’ardeur de son ciel, on sent l’Afrique dans cette montagne, de même que je la sentirai sur le littoral, à Maguelone et à Mauguio.

Dans ce nœud de hautes Cévenues presque nues, couvertes de plaies rouges, Saint-Guilhem, qu’on appelait Gellone au moyen âge, était certes à l’abri des invasions. Il semble tout d’abord que personne n’habite ce village, qui sur la route affecte l’aspect d’une ruine noire, oubliée dans sa solitude, parmi de gros feuillages. J’aperçois une chèvre cherchant pâture sur un mamelon de pierres, parsemé de farigoules et d’azeroliers. Néanmoins, malgré son âpreté, le paysage offre des coins de repos qui invitent à la rêverie. Car de ces pierres jaillissent