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fut défendu par lui avec une ténacité dont n’eut pas raison Louis XIV, même avec son armée du maréchal de Villars. Montagnards rusés et rudes, ils s’étaient dispersés sur le causse et dans les gorges. Villars, après une campagne de cruauté et de perfidie, put saisir dans des cavernes du Larzac des familles pauvres, et parce qu’il les massacra toutes sans exception, il crut avoir anéanti tous les révoltés. Mais, une nuit, les survivans dévalèrent en troupe vers la cité de Ganges, en jetant des clameurs de représailles : Villars dut avec ses dragons les pourchasser jusque sur la montagne. Et la montagne les reprit, les garda jalousement dans une de ses grottes, la plus profonde, qui avait une issue du côté opposé à celui de Ganges, vers des ravins inexplorés.

Les Gangeois s’intéressent encore à une histoire de leur passé, qui les couvrit pour jamais d’une sorte de gloire. C’est l’histoire de la marquise de Ganges, un drame mêlé de terreur et d’amour… La jeune marquise, à la cour de Versailles, avait innocemment séduit, par le charme de sa personne blonde et par les grâces de son esprit, Louis XIV, qui lui déclara, un jour, la préférer à la marquise de Montespan. La marquise de Ganges craignait Dieu. Elle repoussa les tentations du Roi, et dédaigna ses menaces. Le Roi, autant pour la punir que pour n’être pas humilié par son impuissance, la chassa de Versailles. Elle s’en retourna donc dans son château de la Cévenne. Son époux guerroyait au loin, dans les Flandres. Ses deux beaux-frères, le chevalier et l’abbé de Ganges, habitaient également le château, afin de lui tenir compagnie et de la protéger, en cas de péril. Elle ne tarda point à surprendre dans leurs yeux la lueur trouble du désir. Chacun, à l’insu de l’autre, lui fit bientôt sa confession d’amour. Elle eut peur. Mais où pouvait-elle aller implorer un secours ? Elle vivait à l’écart du monde, prisonnière de l’orgueil de son nom.

Le chevalier et l’abbé, afin de la contraindre à la satisfaction de leurs caprices, oublièrent leur rivalité. Tous les deux, un matin, pénétrèrent brusquement dans sa chambre. Tandis qu’elle blêmissait d’angoisse, achevant à peine de se vêtir, ils lui présentèrent une coupe remplie de poison. Elle prit la coupe d’une main tremblante. Mais aussitôt, ayant horreur de mourir, elle la jeta sur le carreau et, Cévenole courageuse, elle essaya d’échapper aux deux hommes. D’un élan, ils la saisirent entre