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Saint-Martin-de-Londres, qui, dans sa cuvette d’ancien lac desséché, garde intactes ses fortifications et son église romane du XIIe siècle. Dans cette plaine, se dresse subitement le pic Saint-Loup, « superbe observatoire d’où l’on peut contempler tout le littoral de la Méditerranée, des Bouches-du-Rhône aux promontoires pyrénéens. » Dès que les nuages en couronnent la tête, le paysan cherche un abri contre la pluie. Dans son donjon à triple enceinte du XIIe siècle, l’évêque Fenoillet soutint, en 1622, un siège de trois jours contre le duc de Rohan, chef des Protestans. Après la révolte de Gaston d’Orléans et du connétable de Montmorency, Louis XIII en ordonna le démantèlement. Mais l’ordre royal ne fut pas exécuté, puisque, pendant la guerre des Camisards, ce donjon redevint une défense de premier ordre. Les paysans le tenaient pour sacré. Car l’évêque Colbert de Croissy en ayant proposé la démolition, qu’approuva l’intendant de Basville, aucun enchérisseur ne s’offrit à en acquérir les matériaux. Un autre donjon, celui de la Roquette, défiait, sur le pic Saint-Loup, toute agression. Aucun sentier ne conduisait à ses murailles hautes et sans la moindre saillie. Les châtelains et leurs hommes arrivaient à cette forteresse aérienne par des échelles mobiles ou des escaliers en bois, qu’on détruisait dès la première alerte. Quant aux vivres et aux approvisionnemens, il fallait sans doute, comme au fort de Maguelone, les monter par des cordes.

C’était autrefois toute une affaire que de se rendre de Ganges à Montpellier. Le voyageur avait à redouter les brigands et les bêtes. On me raconte une histoire pathétique, qui n’est guère pour étonner, si l’on se souvient qu’alors la plaine, ainsi d’ailleurs que les causses, était couverte de forêts, et qu’un seul mauvais chemin, où ne passait aucune diligence, la traversait… Donc, pendant l’hiver de 1832, un Gangeois dut un soir porter une nouvelle urgente à Montpellier, chez son maître. En franchissant l’Hérault sur le pont de Laroque, il vit des nuages envelopper la tour féodale de sa ferme et s’assombrir le rocher que les travailleurs appellent encore « lou Mounestié » (le meunier), coiffé de sa bonnette et vêtu de sa blouse. Prévoyant de l’orage, il hâta son allure. Après qu’il fut sorti des défilés où l’Alzon coule, au delà de Saint-Bauzille-du-Putois, il vit rayonner sous le ciel l’immense domaine des chênes et des ougères, et au loin se détacher l’âpre pic de Saint-Loup. La