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qu’ils en reviennent, c’est pour bavarder en famille au seuil de leurs nids, sur le relief des pierres.

Au delà de Madières, le chemin me conduit sur la route de Ganges, et d’abord je rencontre la Vis qui sort de son obscur défilé, grondant du fracas des eaux. C’est la montagne abandonnée des hommes, hostile à leurs entreprises, et qui tire sa beauté de son isolement farouche et des capricieuses sinuosités de son couloir où ne pénètre qu’un sentier. La route cependant s’écarte du causse. Voici des châtaigniers, des mûriers, une prairie ; j’aperçois, non sans une émotion de délivrance, la cité de Ganges en son cirque charmant de la musique de ses ruches de soie et tout enguirlandé de ruisseaux. La veille, il avait plu, les verdures paraissaient neuves. Les mûriers, à demi dépouillés de leurs feuilles dont on nourrit les vers à soie, se pressent par bataillons, sur des pentes semées de cailloux : aussi robustes que nos oliviers noueux de la plaine, ils ont dans leurs feuillages, sous les souffles brusques du Larzac, des miroitemens de robes de moire et, malgré leur âge vénérable, des frémissemens de jeunesse. Sur la Séranne, tout en haut du pays, des rocs grisâtres, pareils à des vigies, observent les lointains du Tarn, du Gard, de l’Hérault et de l’Aveyron. Dans les bois qui jusqu’au creux des ravins s’écroulent par masses abondantes, les charbonniers ont allumé leurs feux.

Les Cévennes constituent la crête dorsale de la France, qui va se souder à celle de l’Europe. Mais l’usage est de consacrer ce nom de Cévennes à la chaîne comprise entre l’Aigoual et le mont Lozère. Celui-ci (1 702 mètres) en est le roi, un des plus riches témoins des révolutions du globe. L’Aigoual est le principal sommet d’un massif auquel sont attachés le Saint-Guiral et l’Espérou. Sur le Saint-Guiral, voisin du pic Saint-Loup et du pic Saint-Alban, à l’abbaye de Nant, on a détruit de nos jours une chapelle où le saint des bergers était depuis le XIe siècle honoré par le peuple. Une bulle d’Innocent II signale une légende qui chante ces montagnes. La voici : trois frères, Loup, Guiral et Alban, étaient épris de la même orpheline, Irène, qui promit sa main au plus brave. Tous les trois partirent dans la première croisade pour la Terre Sainte, où ils se distinguèrent par leur héroïsme. Quand ils revinrent en Languedoc, Irène, hélas ! était morte. Renonçant alors au monde, chacun d’eux fonda un ermitage sur l’un des trois sommets,