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dence. Lors de la fête de l’Empereur, au banquet qui réunit tous les fonctionnaires, ceux dont l’origine est alsacienne-lorraine ont été dispensés d’assister. En haut lieu, on avait eu connaissance des sentimens pénibles que leur causaient ces agapes bien germaniques : presque dès le début du repas, tous les convives roulent sous la table.

Ainsi donc, même du côté des fonctionnaires, la germanisation n’a pas réussi, et la situation n’a pas varié. On subit un état de choses ; on tâche de vivre comme l’on peut ; mais les aspirations se portent ailleurs.

IV

Les Allemands sont peu nombreux dans nos campagnes ; le plus souvent il n’y reste que les fonctionnaires. Je suis convaincu que certains villages de terres éloignées ne possèdent pas un seul Allemand.

Les ouvriers allemands sont particulièrement rares. C’est que partout la main-d’œuvre agricole diminue au profit de l’autre, l’industrielle. La vie des champs n’a plus d’attrait pour le prolétaire.

Quelques familles de petits cultivateurs ou d’artisans sont venues s’installer dans mon village : familles extrêmement nombreuses, industrieuses et travailleuses. Arrivant de pays moins favorisés, moins heureux, elles sont dures au travail. Débarquées généralement avec quelques marks, elles parviennent rapidement à l’aisance ambiante.

De temps à autre, un Allemand vient fonder une nouvelle entreprise. Il faut reconnaître qu’ils sont excessivement entreprenans, — c’est leur qualité dominante, — et qu’ils trouvent très facilement parmi leurs compatriotes des gens pour soutenir leurs audaces. L’Allemand n’a pas un flair commercial particulier, bien au contraire ; il n’a pas même toujours les manières commerciales, comme on le dit beaucoup trop, car il est négligent, chicaneur et souvent impoli. Mais il est audacieux, il a la tête carrée, il est persévérant.

Il y a une quinzaine d’années, un Allemand, bien appuyé par les banques, a créé une industrie à côté de chez moi, au bord de la forêt. D’après notre sentiment à tous, elle ne pouvait réussir. Les conditions de notre pays ne conviennent pas à ce