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UN VILLAGE D’ALSACE-LORRAINE EN 1914.

combisme. Il se ressaisit présentement ; il est revenu de ses coquetteries avec le Centre, et il s’en détache chaque jour davantage. Mais politique par tradition et par état, il ne fait rien brutalement. Ce n’est pas une rupture sèche, bruyante ; c’est une reprise de soi, douce, graduelle, ininterrompue. La France, pour nos prêtres, n’est pas encore ce qu’elle devrait être ; mais elle a retrouvé sa rayonnante beauté, à laquelle ils se laissent bien volontiers reprendre. Comme signe de ce renouveau d’inclination française, les prêtres alsaciens-lorrains ont répandu le culte de Jeanne d’Arc, qui est général et très ardent dans nos provinces, et ils ont redoublé d’efforts pour entraîner les masses au pèlerinage de Lourdes. Dans mon village, il y a peu de maisons qui n’aient leur statue de Jeanne d’Arc, et qui ne pavoisent de son oriflamme les jours de fête. De même, la moitié de la population a pris part, depuis sept ou huit ans, au pèlerinage alsacien-lorrain de Lourdes. Les frais de déplacement sont modiques, et ainsi nombre de mes compatriotes ont pu traverser la France et en admirer les lumineuses beautés. Le résultat est très précieux.

Les autres fonctionnaires indigènes sont les notaires, les juges de paix, les greffiers, quelques fonctionnaires de la police et on peut même dire les employés de chemins de fer. Les petits fonctionnaires sont nombreux. Ils vivent en bons termes avec leurs collègues allemands, mais on les trouve toujours prévenans pour leurs compatriotes. Le Polizei-Komissar de mon bourg est indigène. Il fait exactement son service, mais il épargne tous les ennuis qu’il peut à ses concitoyens.

Les fonctionnaires plus relevés sont tout l’un ou tout l’autre : ou ils ont carrément passé à l’ennemi, et c’est très rare ; ou ils partagent intégralement les sentimens des autres Alsaciens-Lorrains. L’un d’eux, qui est un de mes meilleurs amis, est tout Français de cœur ; un autre m’a confié souvent son dégoût pour les palinodies auxquelles il était obligé de se soumettre ; un troisième éprouve le besoin d’affirmer, chaque fois qu’il vous parle, ses bons sentimens pour la France. Ces fonctionnaires souffrent dans leurs rapports obligés avec leurs confrères allemands : toujours la mentalité, la civilisation, ou plutôt le degré de civilisation diffèrent. Les inclinations, les pensées, les habitudes des uns ne sont pas celles des autres. Le gouvernement lui-même a été obligé de se rendre à l’évi-