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Lorraine. En France, le sentiment militaire et patriotique semble avoir un moment faibli : à cette période correspond dans les deux provinces l’essai d’une vie qui s’accommode au cadre nouveau imposé par les circonstances. Surviennent enfin les incidens marocains, les risques de guerre, la déception dans la tentative de rapprochement avec l’Allemagne. L’Alsace-Lorraine retrouve la certitude de son cœur, et la France, qui se relève rapidement, permet à nouveau les espoirs et rend la fierté aux souvenirs. Mais ceci a besoin de quelques développemens.

L’exécution du traité de Francfort fut un déchirement pour nos provinces livrées en proie à l’Allemagne. Après un siècle de théories magnifiques sur le droit des peuples, et de réalisations effectives aussi grâce à la France, être arraché à celle-ci par la nation qui en a tiré les plus grands profits, quel réveil et quel retour ! L’Alsace-Lorraine se replia sur elle-même avec ses souvenirs et ses espérances. La douleur eut chez elle son habituelle répercussion d’une vie morale plus intense et plus élevée. Les luttes politiques et sociales s’apaisèrent. Ce fut un resserrement général. La religion, par-dessus tout, fut le grand refuge. L’Alsace-Lorraine resta à l’abri des fermentations anticléricales qui se produisirent en France et dont il n’entre pas dans notre sujet de parler. Nous nous contenterons de dire qu’il y eut en Alsace-Lorraine un sentiment froissé. C’est alors que, d’une façon générale, on se demanda si on ne devait pas franchement se créer un nouveau genre de vie dans un état de choses changé et accepté. L’Alsace-Lorraine songea à devenir elle-même, elle toute seule, et toujours éprise de beauté et pleine de tendresse pour l’ancienne patrie, à jouer un rôle pacificateur entre les deux ennemis séculaires, pour épargner surtout de nouveaux malheurs à la France.

Le parti catholique de l’Empire fit les premiers pas vers les catholiques des provinces annexées. Le Centre allemand multipliait les sollicitations depuis longtemps. Il mettait en avant les intérêts supérieurs de la religion. Les Alsaciens-Lorrains se laissèrent quelque peu prendre à ces avances et saisir par l’engrenage. Chose nouvelle, ils participèrent effectivement en assez grand nombre à la vie allemande. L’Alsace-Lorraine, qui gardait un souvenir très cher de ses années d’union avec la nation fran-