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l’attente des résolutions que le Congrès de Bruxelles s’apprête à prendre, on pouvait encore la craindre ou la ménager. Mais d’après ce qu’on dit à l’ambassade de France et que M. de Rougé nous a répété, les chances du prince Auguste ont paru décroître dans ces derniers temps. Peut-être sont-elles tout à fait perdues en ce moment. Peut-être les cardinaux le savent-ils et, sûrs de n’être atteints par aucune représaille, frappent-ils la Reine sans ménagement.

Quoi qu’il en soit de tous ces doutes, que l’avenir éclaircira, je sens combien j’aimais Rome au regret que j’ai de la quitter. Ces troubles, qui menaçaient toujours et qui n’éclataient jamais, avaient leur charme, et la crainte devient un plaisir là où le vrai danger n’existe pas. En cas d’émeute, non seulement les libéraux nous auraient protégées, mais aussi les promeneurs du Pincio et de la villa Borghèse, les artistes, les gens du monde et jusqu’à nos amis de carnaval, les lanceurs de confetti. En cas de réaction, les murs du palais sont assez solides pour qu’avec nos gens bien armés derrière, nous puissions résister aux attaques des Transtévérins et des habitans du faubourg dei Monti. Enfin, tant que l’absolutisme est debout, M. Delcinque, l’oncle, le cardinal et le neveu Musignano pourraient intervenir en notre faveur. Hors de la ville au contraire, nous voilà, seules et sans défense, exposées à toutes les mauvaises rencontres qu’on peut faire le long des grands chemins. Une escorte nous est nécessaire : j’écris à M. de Bressieux pour lui demander la sienne. Il vient aussitôt, avec sa galanterie ordinaire, prendre les ordres de la Reine, et dit que justement, il projetait de faire ce voyage pour son agrément. M. Hesse l’a quitté ce matin, allant à Naples, le cœur si gros de partir, qu’il a préféré ne nous en rien dire hier et ne pas faire d’adieux.

Nous-mêmes, pressées par le temps, disparaîtrons de Rome sans avoir pris congé de personne. La Reine prétendait d’abord se mettre en route aujourd’hui même, mais cela s’est trouvé impossible par la complication de tous les préparatifs. Un de nos deux réfugiés politiques se faufila dans une de nos voitures ; c’est celui des deux qu’il importe le plus de soustraire aux sbires pontificaux. L’autre, Pasqualini, qui ne peut marcher, et à qui le docteur Conneau continuera ses soins, restera confié à l’importante Mme Lacroix. Déjà redevenue maîtresse, comme si nous n’étions plus là, elle tranche et pérore à propos des