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troupes alignées de chaque côté de la rue ; armés seulement d’un couteau, chacun d’eux, au signal d’un coup de canon, se jetterait sur un soldat, lui prendrait son fusil et s’en servirait contre lui au besoin ; d’autres avaient pour rôle de couper les traits des attelages, ce qui aurait immobilisé les voitures, créé une barricade et paralysé l’action de la cavalerie. La présence et les cris des femmes auraient arrêté l’effusion du sang. On aurait alors distribué des cocardes, des drapeaux tricolores, et la bataille révolutionnaire se serait terminée aussi gaîment qu’une bataille de confettis.

La contre-mesure prise par le gouvernement ayant fait avorter ce premier projet, le coup de main tenté dans la soirée, et dont l’écho n’avait pu parvenir jusqu’à nous, était voué d’avance à un insuccès. M. Colonna nous en a refait le récit, qu’il tenait de la bouche même du colonel mêlé à l’échauffourée.

Des jeunes gens se jetèrent sur le régiment d’infanterie pour le désarmer ; ils essuyèrent une décharge de peloton et quinze ou vingt baïonnettes se teignirent de leur sang. Cinq d’entre eux seulement ont été arrêtés. On croit que d’autres ont été tués, ou du moins blessés grièvement ; mais leurs camarades les ont emportés en se retirant. Les traces sanglantes ont permis de les suivre jusqu’à Saint-Pierre. Là, les insurgés ont disparu sans plus laisser d’indices. Plusieurs morts, dit-on, auraient été jetés dans le Tibre. Les chefs de l’émeute se cachent et désespèrent de rien faire sans les insurgés des provinces ; plusieurs ont sauté par-dessus les murs de la ville pour aller se joindre aux Romagnols.

Notre ambassadeur tenait ses informations d’un Français, habitué du salon de la Reine, qui, mis dans la confidence des conjurés, s’était, par pur enfantillage, le.plus naïvement du monde, laissé aller à livrer leurs secrets. Cette circonstance, si jamais elle était connue, vouerait nos compatriotes à l’exécration de toute l’Italie ; elle les exposerait à la vengeance des Transtévérins comme révolutionnaires, et à celle des révolutionnaires comme traîtres et délateurs. C’est pourquoi aujourd’hui lundi, notre bavard a reçu de nous le conseil de quitter Rome, ce à quoi, la peur aidant, il s’est aussitôt résolu.

Le soir, j’étais au piano ; M. Hesse chantait avec sa belle voix de basse-taille ; nous ne songions plus que plusieurs