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mal de mer. Le marquis Amati avait pris pour nous deux places sous l’allée de gauche qui va de l’église à la colonnade ; il y avait là un échafaudage du haut duquel nous avons très bien vu le pontife apparaître sur le grand balcon. Après son couronnement, il donne la fameuse bénédiction urbi et orbi au peuple agenouillé qui couvre la place. Cet instant est le plus beau ; mais on ne comprend pas d’abord pourquoi il déchire un papier dont les assistans se disputent les moindres parcelles. Cette cérémonie rappelle l’excommunication que la famille Orsini encourut autrefois et dont chaque pape après son élection est censé déchirer la bulle.


14 février.

Toutes les après-midi de la semaine dernière ont été consacrées aux plaisirs du carnaval, aux promenades du Corso, aux batailles de fleurs et de confetti. Pas une voiture ne pouvait rivaliser avec la nôtre pour la moisson de bonbons et de bouquets dont elle était remplie. C’était plaisir de voir la Reine toute ranimée, toute rajeunie par les lazzi qui s’échangeaient d’une voiture à l’autre, par le bombardement de ces projectiles d’amidon, par ces relations fugitives qui durent le temps d’une attaque et d’une riposte et ne laissent pas plus de trace dans le souvenir que les confetti qui s’écrasent n’en laissent sur les vêtemens.

Ces folies toujours pareilles n’empêchaient pas que de jour en jour les rumeurs politiques ne devinssent plus graves. Dès le 7, on avait appris les mouvemens insurrectionnels de Modène, Bologne, Forli et Ravenne. Ces nouvelles confuses, présentées sous des aspects divers, selon la fantaisie des narrateurs, créaient à la longue comme une atmosphère d’inquiétude. Sachant qu’il se préparait quelque chose, on ne montait plus en voiture sans s’informer des intentions des conspirateurs et sans avoir reçu de quelque inconnu digne de toute confiance l’assurance qu’il ne se passerait rien.

Le prince de Musignano, rencontré mercredi soir au théâtre Tordinoni, était allé voir Grégoire XVI dans l’après-midi. Tout en faisant l’éloge du Saint-Père, qu’il donna pour un brave homme animé des meilleures intentions, il se montrait préoccupé des mouvemens populaires signalés dans les Légations et plus inquiet encore de l’imprudence commise ici même par quelques jeunes écervelés français. Une bagarre s’était produite