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avait cependant appris que l’affaire de son cousin était arrangée ? ) « Quelle affaire ? » nous demandait-il, pensant qu’il s’agissait du prince Louis. C’était du petit prince Jérôme que le cardinal avait voulu parler ; l’arrangement venait du prince Gagarine, toujours très empressé pour les intérêts de la Reine Catherine, qui est la cousine de son souverain.

En un instant, le salon s’est rempli. La Reine, paraissant, m’a envoyée m’habiller à mon tour, ce que j’ai fait en un clin d’œil, pour revenir au plus tôt la secourir. Ses craintes l’avaient reprise. Elle voyait mille obstacles sur la route du Prince ; elle s’effrayait de ces dangers imaginaires que l’instinct maternel fait surgir partout où la mère n’est pas. Recevoir des invités dans une pareille disposition d’esprit, c’était faire comme cette actrice que nous avons vue à Bologne chanter les yeux pleins de larmes.

M. Dolcinque, qui est joueur dans l’âme, demandait une table d’écarté. Il a fallu ensuite valser avec lui. J’ai fait chanter un air au petit Piot. Mme Samoïlof, malgré sa voix fausse, a plu dans son duo avec M. Angelini. On lui a demandé des romances russes dont la beauté a surpris ; il y a dans cette musique un souffle, une passion qui produisent des effets saisissans, quoique furieux et désordonnés. Après cela l’air de bravoure chanté par Paccini a paru faible. Les dames sont parties peu après, et la Reine a congédié les joueurs qui faisaient mine de s’attarder. M. de Rougé, resté le dernier, voulait qu’elle s’adressât à notre ambassadeur a Naples, M. de Latour-Maubourg qui est de passage à Rome ; on ne pouvait pas avouer plus clairement qu’ici même, à l’ambassade de France, elle est sans crédit et sans appui. C’est de quoi elle a pleuré toute la nuit ; ses agitations ont été si vives qu’elle s’est relevée pour aller en parler à Charles (elle l’avait fait coucher par précaution dans le lit du prince Louis).

Maintenant il faut pourvoir au salut de deux réfugiés politiques à qui le Prince avait donné asile dans son appartement et qu’en partant il a recommandés à sa mère. L’un est un ancien officier de l’armée d’Italie que nous convenons d’appeler Fido, pour ne pas prononcer son nom devant les domestiques ; l’autre, un jeune peintre nommé Pasqualini ; celui-ci a été blessé dans une échauffourée des derniers jours et porté ici tout sanglant. Ce sont deux vies à sauver, car Fido tient dans sa poche un pistolet chargé et il est prêt à se brûler la cervelle,