Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/862

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les voitures de voyage étaient chez le sellier ; il a fallu aller les chercher précipitamment, courir après le second domestique, qu’on ne trouvait pas. Le Prince s’occupait lui-même de ses emballages, qu’il avait l’humiliation de faire sous les yeux d’un officier papalin.

On peut juger de ce que le dîner a été pour la Reine et pour moi. Je m’efforçai ensuite de lui présenter des raisons propres à lui faire prendre son parti de cet exil ; j’en trouvais beaucoup qui me paraissaient bonnes et qu’elle répétait machinalement après moi. Assises toutes deux devant la cheminée, nous soufflions sur les bûches avec obstination ?

Parfois, quand on est dans un état d’esprit incertain, il suffit d’une impression superficielle pour changer tout le cours des idées. Tout à coup, le feu s’est rallumé ; cette flamme nous a réchauffées, ranimées, et nous n’avons plus considéré l’aventure comme aussi tragique. Le marquis Azzolini entrait justement, tout essoufflé, pour s’enquérir du Prince et nous dire que le petit prince Jérôme avait reçu aussi une lettre d’exil. Que ce conspirateur de seize ans pût être considéré comme dangereux, cela était si ridicule que la Reine en était toute réconfortée. Gagnée davantage à mes raisons, elle a refusé l’offre du marquis, de comprendre le Prince dans la réclamation que le roi Jérôme va faire. Au Roi lui-même, arrivant avec la marquise Azzolini, elle a dit qu’elle préférait savoir son fils à Florence, qu’exposé ici aux sollicitations des agitateurs.

Le pauvre Prince était si harcelé au dernier moment, si surveillé, si embrassé, si caressé, que je n’ai pas pu seulement lui dire adieu. Son oncle descendait l’escalier avec lui ; un colonel, deux officiers le mettaient en voiture ; deux dragons montaient à cheval pour l’escorter jusqu’à la frontière. Dans cette précipitation, il ne nous restait qu’à souhaiter que son passeport eût été visé par l’Autriche, pour qu’au moins il ne lui fût pas cherché noise en Toscane.

Je raisonnais là-dessus, toujours en robe du matin, tandis que la Reine faisait sa toilette, et MM. Delcinque et le général Antonelli me donnaient la réplique, quand le prince de Musignano a paru, fort ému de ce qu’il venait d’apprendre et fort curieux d’en savoir davantage. Son cocher ayant été arrêté (qui n’arrête-t-on pas ? ) il avait couru le réclamer chez le Cardinal Pacca et n’avait pu obtenir qu’un rendez-vous plus tard ; il