jeune et froide beauté. Le Prince a voulu être du jeu et m’a demandé son horoscope. La Reine s’est beaucoup troublée de ce qu’en tirant une carte, il a pris : la mort. Elle s’en affectait si bien, tout en s’efforçant de rire de « ces bêtises, » qu’elle m’a demandé de rester un instant avec elle après que ses invités ont été partis. J’ai voulu lui lire quelque chose, elle n’écoutait pas ; l’image de son premier enfant, mort en Hollande, était devant ses yeux ; elle s’est mise à en parler d’une manière si triste, qu’elle me déchirait le cœur.
C’était le 5 mai 1907. L’Empereur devait mourir le même jour à Sainte-Hélène quatorze ans plus tard. La maladie de Napoléon-Charles n’avait duré que six jours, et d’abord les médecins n’avaient pas reconnu le croup ; aucun d’eux n’a pu dire un mot pour sauver ce malheureux enfant. Témoin de son agonie, la Reine a succombé à l’angoisse, perdu connaissance et elle est tombée dans une sorte de folie de stupeur et d’insensibilité. On l’a portée dans une petite maison de campagne aux environs de La Haye ; de là à Laecken. Corvisart est venu, puis la princesse Caroline, alors grande-duchesse de Berg, enfin l’impératrice Joséphine. La Reine s’est laissé mettre dans une voiture et elle est arrivée à Paris sans avoir versé une larme, sans avoir prononcé un mot. Corvisart l’envoyait dans les Pyrénées, il ordonnait des courses à pied ou à cheval, la fatigue, le silence, l’absence de toute contrainte et de toute représentation. Elle vécut de la sorte à Cauterets où Mmes de Broc, de Boucheporn, Vallet et de Villeneuve l’entouraient de leur affection. Un jour, dans une de ses promenades, elle entendit un paysan parler avec estime de la reine Hortense ; c’est là un de ses plus chers souvenirs. Elle fit une course à Pau ; le préfet, M. de Castellane, fut au désespoir qu’elle ne fût pas venue chez lui. Le roi Louis l’avait rejointe ; elle le suivit à Paris, toujours dans le même état stupide. Ce n’est qu’ensuite, à une chasse, en entendant le son du cor, qu’elle a pu pleurer enfin et se soulager en pleurant. Elle est tombée alors dans un état de faiblesse extrême, dont la naissance du prince Louis ne l’a pas délivrée et dont elle a souffert pendant près de dix ans.
Si l’on ajoute à ce récit de la Reine ce que je sais d’elle par Mme Vescovali, on voit combien sa part de bonheur a été mince et l’on comprend mieux l’amertume des larmes que j’ai eu la sottise de lui faire verser l’autre jour.