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lui. « Souffrir par ceux qu’on aime, c’est là la vie… » ajoute Mme Vescovali, les yeux toujours remplis de larmes. Elle s’excuse d’avoir trop parlé, elle s’en accuse, et moi je l’en remercie. Avertie par elle, j’éviterai désormais des allusions maladroites, et, moi qui aime la Reine, je me garderai de la faire souffrir.


28 novembre.

Ce matin, la Reine s’est sentie assez bien pour être debout avant midi ; les visites ont afflué de bonne heure et jusqu’au soir, nous n’avons plus eu un instant de liberté.

D’abord Mme de Menou, une des beautés qui ornaient les fêtes de l’Empire et figuraient aux Tuileries dans de brillans quadrilles costumés ; elle vient passer l’hiver à Home ; sa conversation est charmante, sa physionomie très agréable, mais on devine à peine qu’elle ait été si jolie ; un Suédois intéressant, recommandé par une lettre de la princesse Joséphine, et nommé M. de Benette ; le général Antonelli, qui parle musique ; un petit homme timide que je prenais pour un visiteur et avec qui je me mettais en frais de conversation ; il m’a avoué alors s’appeler Henri Piot, être le neveu de Mme Vescovali et venir pour essayer le piano, la Reine le paie pour jouer les soirs ; enfin le général Lepel, présentant son frère et sa belle-sœur, à qui il a fallu faire voir les gravures.

Le cercle s’étant resserré un instant, la Reine a joué une valse que Mlle Feray a dansée avec M. de Rougé et que je suis bien aise que mon mal de pied m’ait empêchée de danser avec le prince Louis, puisqu’il s’en défendait : il nous a quittés après nous avoir montré sa chanson napolitaine. M. de Rougé a disparu à son tour, parce qu’il ne reste pas les jours où il ne peut pas jouir de la Reine à son gré, et qu’après avoir espéré l’avoir pour lui seul, il lui a fallu céder sa place au chambellan de Madame Mère, M. Colonna.

Celui-ci s’est rencontré dans le salon avec le prince Ruspoli, l’évêque propriétaire de la maison, personnage fort goutteux et fort dissimulé, tout farci de nouvelles qu’il comptait sans doute sur nous pour répandre dans Rome. Son sujet était le danger politique qui peut naître de la maladie du Pape et les troubles que la mort du Pontife ne manquerait pas d’amener. Il affirme que l’Autriche se tiendrait alors au principe de la non-intervention. Voilà ce qu’il voudrait nous faire redire et ce sur