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payèrent chacun la moitié. Cependant Mouton-Duvernet, condamné à mort par le conseil de guerre de Lyon, avait été fusillé. Des dames de la ville allèrent danser sur le lieu du supplice ; des royalistes fêtèrent l’exécution par un repas où fut servi un foie de mouton que les convives percèrent de leurs couteaux.


26 novembre.

Seule avec la Reine ce matin, n’ai-je pas eu la sottise de mettre la conversation sur les questions de sentiment ! Cela a ravivé chez elle ses sujets de chagrin ; elle a pleuré très fort ; je ne pouvais plus la consoler. Le bonheur, dit-elle, n’est pas de ce monde et ceux qui l’y cherchent, surtout par le cœur, ne l’y trouveront point ; il faut se détacher de soi et, si l’on peut, des autres, vivre au jour le jour et sans y penser…

Je ne savais plus comment changer l’entretien, quand Malvina est venue fort à propos nous apporter un roman que la Reine avait demandé au roi Jérôme ; il s’est trouvé être de lord Normanby.et nous l’avons commencé avec intérêt. La visite de Mlle Feray nous a bientôt interrompues. La Reine m’a envoyée la recevoir, en me recommandant de bien répéter avec elle notre morceau de demain soir ; mais, dans l’instant même, le roi Jérôme, la reine Catherine et M. Bacciochi entraient au palais. Il a fallu leur répondre, caqueter et perdre du temps. A la fin, sur un signe de Mlle Feray, nous nous sommes décidées à nous asseoir au piano. L’effet de notre musique a été prodigieux. Les hommes ont pris aussitôt leurs chapeaux et s’en sont allés. La reine Catherine est entrée chez la Reine, auprès de qui Hortense Lacroix n’avait pas laissé longtemps ma chaise vide, dans la hâte qu’elle a toujours de me remplacer.

Nous n’avions pu dire qu’une fois ce duo de Sémiramide, quand M. Feray est venu réclamer sa nièce et que Mme Vescovali est arrivée. Elle prétendait être reçue par la Reine ; mais j’ai préféré la mener chez moi, ne pouvant, naturellement, lui permettre d’interrompre la visite de la reine Catherine.

Je savais déjà l’histoire de cette dame. C’est une demoiselle Piot qui était chez la Reine, en même temps que Mlle de Courtin. Elle s’est amourachée d’un jeune homme et lui a sacrifié plus que la vie. Enceinte et congédiée, elle s’est établie à Milan, où